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Blackrock et démocratie
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I.Histoire et montée en puissance de BlackRock
II.Activités, influence et rôle économique de BlackRock
III.Controverses et critiques autour de BlackRock
IV.BlackRock et la France : perception et réalité
V.Mise en perspective académique : Que penser de BlackRock ?
Fondée en 1988 à New York par Larry Fink, BlackRock est devenue en quelques décennies le premier gestionnaire d’actifs au monde. En 2024, la firme américaine gère environ 11 000 milliards de dollars d’actifs financiers, une somme équivalant à près de quatre fois le Produit Intérieur Brut annuel de la France. Cette croissance spectaculaire, initialement bâtie sur la gestion obligataire active, s’est principalement accélérée par l’expansion massive de ses fonds indiciels cotés en bourse (ETF), en particulier via la célèbre marque iShares, acquise lors du rachat stratégique de Barclays Global Investors en 2009 (Haberly et Wojcik, 2015). À cela s’ajoute une influence technologique notable avec Aladdin, sa plateforme numérique d’analyse des risques, devenue essentielle à de grandes institutions financières et même à plusieurs banques centrales (Braun, 2021).
Cette position dominante suscite aujourd’hui de nombreux débats dans les sphères académiques, économiques et politiques. Certains chercheurs, comme Jan Fichtner et Eelke Heemskerk (2017), soulignent que BlackRock, aux côtés de ses deux grands concurrents Vanguard et State Street, détient une position sans précédent en matière de propriété commune (common ownership) dans les grandes entreprises internationales, notamment celles du S&P 500 américain. Selon José Azar et ses co-auteurs (2018), ces gestionnaires d’actifs détiendraient à eux trois environ 20 % du capital des principales entreprises américaines, concentration actionnariale pouvant avoir des effets non négligeables sur la concurrence, les prix et l’innovation.
En France, BlackRock cristallise depuis plusieurs années certaines inquiétudes politiques et sociales. L’entreprise américaine s’est notamment retrouvée au cœur de débats publics autour de la réforme des retraites de 2019-2020, accusée par certains acteurs politiques et syndicaux d’avoir tenté d’influencer les décisions gouvernementales françaises en faveur d’une ouverture accrue aux fonds de pension privés. BlackRock France, par la voix de son président Jean-François Cirelli, a toujours officiellement rejeté ces accusations, assurant que son rôle se limitait à celui d'un simple gestionnaire d’actifs, sans agenda politique caché.
Ces controverses illustrent à la fois l’inquiétude légitime d’une partie de la société face à la financiarisation accrue de l’économie et la nécessité d’une meilleure compréhension du fonctionnement exact d’un acteur comme BlackRock. Cet article vise ainsi à exposer de façon neutre, documentée et accessible au grand public les faits relatifs à ce géant de la gestion financière, à présenter les principales controverses qui l’entourent, ainsi que les réponses officielles apportées, tout en donnant équitablement la parole aux différentes voix académiques, économiques et institutionnelles afin d'éclairer objectivement son rôle dans un projet économique et démocratique commun.
I. Histoire et montée en puissance de BlackRock
I.1. Fondation et origines (1988–2000)
BlackRock est fondée à New York en 1988 par Larry Fink, Robert Kapito et plusieurs associés issus principalement de la banque d'investissement First Boston. À ses débuts, l’entreprise se spécialise dans la gestion active d’actifs obligataires et se distingue rapidement par son approche innovante en matière d’analyse du risque financier (Haberly et Wojcik, 2015). Larry Fink, qui avait précédemment vécu une expérience traumatisante en perdant près de 100 millions de dollars en raison d’une mauvaise gestion des risques à First Boston en 1986, place dès l’origine la gestion rigoureuse du risque au cœur de la stratégie de l’entreprise (Wigglesworth, 2021).
BlackRock développe à cette époque une expertise très pointue sur le marché des obligations hypothécaires américaines (Mortgage-Backed Securities), domaine alors complexe et relativement nouveau. Cela lui permet rapidement d’attirer des clients institutionnels majeurs tels que General Electric et AT&T, séduits par sa rigueur analytique et ses performances jugées stables et solides (Braun, 2021). À la fin de l’année 1992, la jeune entreprise gère déjà environ 17 milliards de dollars d’actifs, une performance remarquable à l’époque pour une société âgée d’à peine quatre ans (Wigglesworth, 2021).
Durant les années 1990, BlackRock étend progressivement son offre au-delà des obligations, vers les marchés actions et les actifs diversifiés, tout en conservant un modèle de gestion très axé sur l’analyse du risque, jugé particulièrement attractif par les grandes institutions financières comme les fonds de pension et les compagnies d’assurance américaines (Braun, 2021).
I.2. Expansion et domination mondiale (2000–2020)
L’entrée dans les années 2000 marque un tournant majeur pour BlackRock, qui commence à acquérir d’autres sociétés de gestion d’actifs pour renforcer son positionnement sur les marchés financiers internationaux. En 2006, une étape décisive est franchie avec l’acquisition de Merrill Lynch Investment Managers, qui permet à BlackRock de doubler quasiment ses actifs sous gestion, atteignant près de 1 000 milliards de dollars à cette époque (Haberly et Wojcik, 2015).
Mais le véritable changement de dimension intervient en 2009, lorsque BlackRock rachète Barclays Global Investors (BGI) pour 13,5 milliards de dollars. Cette acquisition lui permet de récupérer la marque iShares, leader mondial des ETF (Exchange-Traded Funds), ces fameux fonds indiciels à bas coûts qui répliquent simplement les grands indices financiers tels que le S&P 500 américain ou le CAC 40 français (Fichtner et Heemskerk, 2017). Dès lors, BlackRock devient instantanément le leader mondial incontesté de la gestion d’actifs, avec environ 3 000 milliards de dollars sous gestion en 2010 (Wigglesworth, 2021).
Cette montée en puissance rapide est favorisée par un contexte global de financiarisation croissante de l’économie mondiale et un intérêt grandissant pour les fonds indiciels passifs. Ceux-ci offrent une alternative jugée plus sûre et moins coûteuse que les fonds traditionnels actifs, une évolution soulignée par de nombreux économistes spécialistes des marchés financiers comme Benjamin Braun (2021). La plateforme numérique Aladdin, créée au départ pour les besoins internes de BlackRock, devient rapidement une solution technologique commercialisée à grande échelle pour gérer et analyser les risques financiers. Elle devient un outil incontournable adopté par plusieurs grandes banques centrales et fonds de pension, contribuant encore davantage à renforcer la position dominante de BlackRock sur les marchés financiers internationaux (Braun, 2021).
À partir de 2010, BlackRock poursuit sa croissance internationale en ouvrant des bureaux dans plus de 30 pays, notamment en Europe où la société s’implante dès 2006 à Paris, Londres et Francfort. Elle dépasse progressivement les 5 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2016 puis les 7 000 milliards en 2019 (Wigglesworth, 2021). Fin 2020, ses actifs atteignent près de 8 700 milliards de dollars, ce qui représente alors plus du double de ceux gérés par son principal concurrent Vanguard (Fichtner et Heemskerk, 2017).
I.3. BlackRock aujourd’hui
En 2024, BlackRock gère désormais plus de 11 000 milliards de dollars d’actifs financiers. Sa croissance est principalement portée par la popularité toujours grandissante des fonds indiciels (ETF), qui constituent désormais plus de 60 % de ses actifs sous gestion (Braun, 2021). La gestion passive, à laquelle BlackRock a contribué à donner ses lettres de noblesse, représente à elle seule une part toujours plus significative du marché mondial de la gestion d’actifs, faisant évoluer profondément le fonctionnement des marchés financiers, comme l’ont relevé plusieurs études récentes en économie financière (Azar et al., 2018 ; Posner, Morton et Weyl, 2017).
BlackRock continue de renforcer sa position internationale grâce à ses bureaux implantés dans plus de 30 pays, regroupant environ 21 000 employés dans le monde. L’entreprise est également devenue un acteur incontournable du conseil en risque financier grâce à Aladdin, sa plateforme technologique utilisée désormais par un réseau de clients représentant plus de 20 000 milliards de dollars d’actifs financiers mondiaux sous surveillance (Braun, 2021).
Son modèle économique repose aujourd’hui sur l’énorme économie d’échelle réalisée par la gestion passive, lui permettant de proposer des frais très bas aux investisseurs tout en générant des bénéfices considérables en volume. Ce modèle a d’ailleurs été salué par certains économistes pour avoir démocratisé l’accès à des investissements diversifiés pour le grand public, tout en étant critiqué par d’autres chercheurs comme Braun (2021), qui soulignent que cette concentration massive des capitaux et du pouvoir décisionnaire peut induire des effets secondaires systémiques non négligeables sur les marchés et la gouvernance économique mondiale.
À l’heure actuelle, BlackRock est perçue par certains analystes économiques et observateurs académiques, dont Fichtner et Heemskerk (2017), comme incarnant l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir financier global. Sa taille inégalée dans l’histoire des marchés financiers en fait une institution unique, au cœur des débats sur la régulation financière mondiale et les conséquences économiques, politiques et sociales de cette concentration inédite d’actifs et de pouvoir décisionnaire au sein d’une seule et même entreprise.
II. Activités, influence et rôle économique de BlackRock
II.1. Les principales activités de BlackRock
Le cœur d’activité de BlackRock est la gestion d’actifs financiers pour le compte de clients divers, tels que les fonds de pension, les compagnies d’assurance, les banques, mais également les particuliers via l’épargne collective. À ce jour, la société gère plus de 11 000 milliards de dollars répartis entre des fonds indiciels cotés (ETF), des fonds gérés activement, ainsi que divers produits d’investissement alternatifs, notamment l’immobilier et les infrastructures (Braun, 2021).
La gamme d’ETF iShares représente aujourd’hui l’une des principales sources de croissance pour BlackRock, faisant d’elle le numéro un mondial incontesté des fonds indiciels. Selon Jan Fichtner et Eelke Heemskerk (2017), cette gestion dite passive représente une révolution majeure sur les marchés financiers, démocratisant l’accès à des produits d’investissement autrefois réservés aux investisseurs institutionnels. Le modèle d’affaires de BlackRock s’appuie ainsi sur l’ampleur exceptionnelle des fonds gérés, lui permettant de pratiquer des frais réduits, tout en restant très rentable grâce aux économies d’échelle.
Parallèlement à la gestion d’actifs, BlackRock développe une activité technologique significative à travers Aladdin (Asset Liability Debt and Derivative Investment Network), sa plateforme d’analyse et de gestion des risques financiers. Cet outil technologique est considéré par Benjamin Braun (2021) comme l’un des éléments centraux qui a renforcé l’influence systémique de BlackRock, car il permet à des institutions financières prestigieuses (fonds souverains, banques centrales, fonds de pension publics) d’analyser, contrôler et gérer leurs risques financiers au quotidien. Aladdin pilote ainsi indirectement plus de 20 000 milliards de dollars d’actifs financiers dans le monde, selon les données de 2021 (Braun, 2021).
II.2. Une influence économique et financière majeure
En raison de son envergure exceptionnelle, BlackRock exerce aujourd’hui une influence significative sur les marchés financiers internationaux et l’économie réelle. Les chercheurs José Azar et Fiona Scott Morton (2018) soulignent que BlackRock fait partie des trois plus gros actionnaires (avec Vanguard et State Street) de la majorité des grandes entreprises cotées aux États-Unis, notamment celles constituant l’indice phare S&P 500. Selon leur étude, ces trois gestionnaires détiennent à eux seuls environ 20 % des actions des principales firmes américaines, un phénomène qualifié de « propriété commune » (common ownership).
Cette concentration des droits de vote et du pouvoir actionnarial entre les mains d’un nombre réduit d’acteurs financiers pose, selon certains économistes comme Eric Posner et Glen Weyl (2017), d’importants défis en matière de gouvernance d’entreprise, de politique de concurrence, mais aussi de régulation démocratique des marchés financiers. Le principal risque évoqué par ces chercheurs est que la propriété commune puisse potentiellement réduire l’incitation des entreprises à se livrer à une concurrence agressive, puisqu’elles partagent une partie importante de leur actionnariat avec leurs concurrents directs.
Jan Fichtner et Eelke Heemskerk (2017) notent néanmoins que l’influence réelle exercée par BlackRock sur les stratégies individuelles des entreprises reste un sujet complexe. BlackRock, par la voix de son dirigeant Larry Fink, affirme régulièrement exercer une gouvernance actionnariale responsable à travers des votes éclairés et un dialogue constant avec les entreprises, notamment sur des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), sans pour autant intervenir directement dans les stratégies concurrentielles spécifiques des entreprises.
II.3. Relations étroites avec les États et les banques centrales
L’envergure mondiale de BlackRock lui vaut d’être régulièrement consultée par les institutions publiques internationales et nationales, telles que les gouvernements, les banques centrales ou les organismes de régulation financière. BlackRock a ainsi été mandatée par la Réserve fédérale américaine (Fed) lors des crises financières de 2008 et 2020, notamment pour aider à gérer les actifs toxiques liés aux subprimes en 2008 et stabiliser le marché obligataire en 2020, en pleine crise du Covid-19.
Ce rôle de conseiller technique auprès des autorités publiques a suscité des débats académiques et politiques sur les risques potentiels de conflits d’intérêts. En effet, en 2020, la Fed avait mandaté BlackRock pour racheter des obligations sur les marchés financiers, notamment des ETF obligataires, dont ceux gérés par BlackRock elle-même (Braun, 2021). BlackRock et la Fed ont toutefois précisé que des mécanismes stricts de gestion des conflits d’intérêts avaient été mis en place pour garantir la transparence et l’intégrité de cette opération exceptionnelle.
En Europe, des critiques similaires sont apparues lorsque la Commission européenne a mandaté BlackRock en 2020 pour réaliser une étude sur la prise en compte des critères ESG dans la régulation financière européenne. Cette situation a suscité des inquiétudes politiques et institutionnelles en raison du poids majeur de BlackRock sur les marchés financiers européens et internationaux. Toutefois, la Commission européenne a officiellement répondu que cette mission avait été attribuée en toute transparence, conformément à ses procédures internes, et que BlackRock avait apporté toutes les garanties nécessaires pour éviter les conflits d’intérêts potentiels.
Enfin, Benjamin Braun (2021) observe que cette proximité entre BlackRock et les institutions publiques n’est pas sans susciter des interrogations plus générales sur la régulation démocratique du secteur financier et le rôle accru d’acteurs privés dans la gouvernance économique mondiale. Bien que BlackRock insiste sur son strict respect des règles, sa taille exceptionnelle et son rôle stratégique dans les crises financières en font une entreprise systémique, soulevant régulièrement la question d’une régulation adaptée à son poids inédit dans l’histoire économique moderne.
III. Controverses et critiques autour de BlackRock
III.1. Controverses liées à l’influence politique et économique
Compte tenu de sa taille exceptionnelle et de sa présence mondiale, BlackRock est régulièrement accusée d’exercer une influence excessive sur les sphères politiques et économiques internationales. Selon les chercheurs Jan Fichtner et Eelke Heemskerk (2017), l’entreprise est devenue un acteur systémique incontournable, souvent consultée par les décideurs publics en raison de son expertise reconnue, mais ce statut suscite aussi des critiques sur la possible porosité entre intérêts privés et décisions publiques.
La pratique dite des « portes tournantes » (revolving doors), qui consiste pour BlackRock à recruter d’anciens hauts responsables politiques ou financiers, contribue à alimenter ces inquiétudes. Parmi les cas emblématiques figurent le recrutement en 2017 de George Osborne, ancien ministre britannique des Finances, ou encore de Stanley Fischer, ancien vice-président de la Réserve fédérale américaine. Certains économistes, notamment Benjamin Braun (2021), estiment que cette pratique, bien que courante dans le secteur financier, pose néanmoins des questions légitimes en matière de transparence et de régulation démocratique des marchés financiers.
Face à ces critiques, Larry Fink, PDG de BlackRock, affirme régulièrement que ces recrutements se justifient uniquement par la volonté d’attirer les meilleurs experts et que l’entreprise ne mène aucune stratégie de lobbying caché auprès des gouvernements ou des institutions publiques. Il insiste sur le fait que BlackRock ne fait que défendre les intérêts de ses clients, sans agenda politique particulier.
III.2. BlackRock face aux controverses ESG : entre écologistes et anti-ESG
BlackRock se retrouve depuis quelques années au cœur d’intenses controverses liées aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Selon une étude de Braun (2021), le gestionnaire d’actifs subit simultanément des pressions opposées : d’un côté, des ONG environnementales accusent BlackRock de contribuer au financement massif des énergies fossiles et de la déforestation, et d’un autre côté, certains responsables politiques conservateurs, notamment aux États-Unis, accusent l’entreprise d’imposer une vision « idéologique » ou « woke » aux entreprises en insistant trop sur les critères ESG.
Des ONG internationales comme Friends of the Earth ou Amazon Watch reprochent régulièrement à BlackRock ses investissements considérables dans des entreprises accusées de contribuer à la déforestation, notamment en Amazonie. Face à ces critiques, BlackRock rétorque qu’une grande majorité des actifs qu’elle gère sont liés à des fonds indiciels, où les choix d’investissements sont mécaniquement déterminés par les indices de marché, limitant ainsi sa marge de manœuvre directe. Toutefois, sous la pression publique, Larry Fink a annoncé en 2020 que le changement climatique représentait un risque financier majeur, affirmant vouloir progressivement désinvestir de certains secteurs très polluants, comme le charbon thermique.
Inversement, aux États-Unis, un certain nombre d’États dirigés par le Parti républicain ont dénoncé les stratégies ESG de BlackRock comme étant une ingérence politique injustifiée. Par exemple, le gouverneur de Floride Ron DeSantis a ordonné en 2022 le retrait de plusieurs milliards de dollars confiés à BlackRock, accusant l’entreprise de négliger les intérêts économiques locaux au profit d’une « idéologie environnementaliste ». Face à cette fronde anti-ESG, BlackRock a tenté de clarifier sa position, en affirmant respecter strictement la volonté de ses clients et ne jamais sacrifier les rendements financiers à des critères purement idéologiques.
III.3. Relations controversées avec les autorités publiques et conflits d’intérêts potentiels
Plusieurs épisodes récents ont alimenté la controverse quant aux liens étroits entre BlackRock et certaines autorités publiques. L’exemple le plus cité par les chercheurs comme Braun (2021) est celui du mandat accordé en mars 2020 par la Réserve fédérale américaine, confiant à BlackRock le soin d’acheter des obligations d’entreprises, y compris des ETF de BlackRock elle-même, dans le but de stabiliser les marchés financiers en pleine crise du Covid-19. Cet épisode a fait l’objet de nombreuses critiques dans le milieu académique et politique, certains élus américains dénonçant des conflits d’intérêts potentiels liés à cette décision. La Réserve fédérale américaine, quant à elle, a assuré publiquement avoir mis en place des mécanismes stricts pour gérer tout risque de conflit d’intérêts.
Un autre épisode similaire a concerné l’Europe, lorsque la Commission européenne a confié à BlackRock, en 2020, la réalisation d’une étude sur l’intégration des critères ESG dans la régulation financière européenne. Cette attribution a suscité une polémique importante, des eurodéputés et ONG estimant que confier cette mission à l’un des plus grands investisseurs financiers du monde posait des risques évidents de conflits d’intérêts. En réponse, la Commission européenne a déclaré que l’attribution s’était déroulée conformément aux règles et que des garanties avaient été exigées de BlackRock pour assurer l’impartialité de l’étude.
Ces épisodes, analysés notamment par Braun (2021), illustrent la difficulté grandissante à réguler efficacement un acteur aussi dominant sur les marchés financiers mondiaux. La taille sans précédent de BlackRock et son influence systémique posent de manière récurrente la question d’une régulation renforcée et adaptée, visant à préserver l’intégrité démocratique des politiques publiques tout en exploitant positivement l’expertise financière de grands acteurs privés.
IV. BlackRock et la France : perception et réalité
IV.1. Pourquoi la France est-elle devenue un cas particulier ?
En France, BlackRock est devenu un symbole de défiance à l’égard de la finance internationale, cristallisant des inquiétudes souvent plus larges que la réalité effective de sa présence locale. La société a notamment attiré l’attention publique en lien avec le débat sensible sur la réforme des retraites engagée en 2019-2020 par le gouvernement français. À l’époque, plusieurs acteurs politiques et syndicaux ont accusé BlackRock de tenter d’influencer cette réforme pour encourager une transition vers un modèle de retraites par capitalisation.
Cette perception négative s’est renforcée lorsque Jean-François Cirelli, président de BlackRock France, a été nommé officier de la Légion d’honneur en janvier 2020. Cette nomination, bien que liée officiellement à l’ensemble de sa carrière antérieure, a déclenché une polémique intense dans un contexte social marqué par des manifestations contre la réforme des retraites. De nombreux commentateurs, dont l’économiste Frédéric Lordon (2020), ont interprété cette distinction comme symbolique d’une proximité excessive entre l’État français et le secteur financier international, incarné par BlackRock.
IV.2. Les faits et la réalité des activités de BlackRock en France
Malgré ces controverses, la réalité opérationnelle de BlackRock en France reste relativement modeste. BlackRock France, implantée depuis 2006 à Paris, compte quelques dizaines d’employés principalement dédiés à la gestion locale d’actifs financiers, à la distribution des produits financiers du groupe et aux relations commerciales avec les investisseurs institutionnels français. Contrairement à l’image souvent véhiculée dans certains discours politiques et médiatiques, BlackRock ne gère pas directement de fonds de pension privés français et n’a jamais été officiellement impliquée dans l’élaboration des réformes du système de retraite français.
À ce sujet, BlackRock France a systématiquement rejeté les accusations lui attribuant un rôle de lobbying caché auprès du gouvernement français. Jean-François Cirelli a rappelé publiquement en 2020 que les recommandations émises par BlackRock sur les retraites étaient purement techniques et générales, liées à la nécessité selon lui de diversifier l’épargne des Français, sans objectif particulier lié à la réforme. Le gouvernement français a lui-même réfuté à plusieurs reprises l’existence de toute influence directe ou indirecte de BlackRock dans ses décisions politiques.
Des analyses indépendantes de chercheurs et journalistes économiques ont confirmé que les accusations d’intervention directe de BlackRock dans la réforme des retraites française reposaient davantage sur des perceptions symboliques et émotionnelles que sur des preuves tangibles. L’économiste Frédéric Lordon (2020), pourtant critique sur la financiarisation de l’économie, reconnaît ainsi que BlackRock agit davantage comme un « symbole utile » des craintes populaires face aux évolutions libérales des politiques publiques, plutôt que comme un acteur politique concret dans ce dossier précis.
IV.3. BlackRock comme symbole : analyse d’une cristallisation médiatique et sociale
Le cas de BlackRock en France constitue un exemple académique intéressant de la cristallisation symbolique autour d’un acteur financier mondialisé. Cette société, par sa taille mondiale et son nom à consonance anglo-saxonne, est devenue l’incarnation de la finance internationale dans une partie du discours politique français, reflétant des inquiétudes sociales plus générales concernant la perte de souveraineté économique et la financiarisation croissante du système social et économique français.
Selon les travaux académiques de Benjamin Braun (2021), cette cristallisation symbolique est typique d’un contexte où les préoccupations économiques et sociales locales trouvent un « bouc émissaire » commode, personnifié en l’occurrence par BlackRock. Cette entreprise représente ainsi, malgré elle, les angoisses face à l’érosion du modèle social traditionnel français, notamment en ce qui concerne les retraites et la protection sociale.
Pour autant, plusieurs économistes, à l’instar de Braun (2021), invitent à distinguer clairement entre la critique légitime de l’influence excessive potentielle de grands gestionnaires d’actifs comme BlackRock sur les marchés financiers internationaux, et les accusations parfois simplistes de collusion directe avec le gouvernement français sur des dossiers précis. En réalité, BlackRock en France est avant tout une entreprise financière parmi d’autres, certes influente à l’échelle mondiale, mais loin d’avoir une emprise significative directe sur les politiques économiques françaises.
Ainsi, l’enjeu essentiel reste, selon ces chercheurs, de renforcer la transparence démocratique et la régulation publique des marchés financiers et non de diaboliser un acteur particulier comme BlackRock. Cela permettrait d’apaiser les inquiétudes légitimes tout en favorisant une meilleure compréhension du rôle précis joué par ces grands acteurs financiers dans les économies nationales contemporaines, y compris en France.
V. Mise en perspective académique : Que penser de BlackRock ?
V.1. Le rôle réel d’un gestionnaire d’actifs mondial dans l’économie
BlackRock, par sa taille et son influence, illustre parfaitement l’évolution du capitalisme contemporain vers une forme dominée par les gestionnaires d’actifs, phénomène décrit par Benjamin Braun (2021) comme le « capitalisme des gestionnaires d’actifs » (asset-manager capitalism). Cette forme particulière de capitalisme se caractérise par la concentration massive de l’épargne collective dans un nombre réduit d’institutions financières, dont les plus emblématiques sont BlackRock, Vanguard et State Street.
Selon l’analyse de Jan Fichtner et Eelke Heemskerk (2017), ces grands gestionnaires d’actifs jouent aujourd’hui un rôle central non seulement dans l’allocation du capital mais aussi dans la gouvernance des grandes entreprises mondiales. Ils détiennent ainsi un pouvoir inédit de surveillance et d’influence sur des milliers de sociétés cotées en bourse, avec des effets potentiels significatifs sur les politiques internes des entreprises, en particulier en matière de gouvernance, de pratiques concurrentielles et d’investissements à long terme.
Les économistes José Azar et Fiona Scott Morton (2018) ont particulièrement mis en évidence les conséquences possibles de cette propriété commune sur la concurrence entre entreprises. Selon eux, lorsque plusieurs grandes entreprises concurrentes partagent les mêmes actionnaires majoritaires – comme c’est le cas avec BlackRock –, ces entreprises pourraient théoriquement être moins incitées à se livrer à une concurrence agressive, ce qui pourrait avoir des effets négatifs sur les prix, l’innovation et le bien-être des consommateurs.
Cependant, cette perspective est débattue au sein de la communauté académique. Certains économistes rappellent que les fonds indiciels passifs, qui constituent l’essentiel des actifs gérés par BlackRock, n’exercent en principe pas de gestion active visant à influencer directement les stratégies concurrentielles des entreprises individuelles. Larry Fink rappelle régulièrement que la mission première de BlackRock reste de gérer l’épargne collective confiée par ses clients, avec un objectif de diversification et de rendement à long terme, et non d’exercer une influence directe sur les stratégies opérationnelles des entreprises.
V.2. Réguler BlackRock ? Les enjeux démocratiques et économiques
Face à ces préoccupations, un débat académique important a émergé sur la nécessité éventuelle d’une régulation spécifique pour BlackRock et les autres gestionnaires d’actifs mondiaux de grande taille. Des chercheurs comme Eric Posner, Fiona Scott Morton et Glen Weyl (2017) ont suggéré diverses formes de régulation, telles que la limitation stricte des participations croisées des grands fonds dans les entreprises concurrentes afin de préserver une saine concurrence sur les marchés.
Benjamin Braun (2021), de son côté, insiste sur l’importance d’un cadre réglementaire renforcé, notamment en matière de transparence sur les décisions de vote des grands gestionnaires lors des assemblées générales d’actionnaires, mais aussi sur la prévention stricte des conflits d’intérêts potentiels lorsqu’ils interviennent auprès d’autorités publiques ou de régulateurs financiers.
La question de savoir si BlackRock doit être considérée comme une institution financière « systémique » (« too big to fail ») reste également ouverte. À ce jour, BlackRock elle-même réfute cette qualification, rappelant qu’en tant que gestionnaire d’actifs, elle ne prête pas directement d’argent, contrairement aux banques, et qu’en cas de difficulté, les actifs gérés restent la propriété des clients et ne seraient donc pas directement menacés. Néanmoins, plusieurs économistes, comme Braun (2021), soulignent que la taille et l’importance systémique de BlackRock justifieraient une régulation accrue pour anticiper tout risque éventuel pour la stabilité financière mondiale.
Face à ces enjeux, les régulateurs et les institutions publiques, tant aux États-Unis qu’en Europe, sont aujourd’hui invités par plusieurs chercheurs à prendre davantage en compte le poids particulier de ces grands gestionnaires d’actifs dans leurs cadres réglementaires. Ce débat se poursuit activement dans les milieux académiques et institutionnels, posant la question cruciale de la conciliation entre les bénéfices indéniables qu’offrent ces grands fonds en matière de démocratisation financière et les risques potentiels liés à leur poids considérable sur les marchés mondiaux.
Conclusion
BlackRock incarne aujourd’hui de manière emblématique l’ampleur prise par certains acteurs financiers mondiaux, illustrant à la fois les opportunités et les défis du capitalisme contemporain. Sa croissance exceptionnelle depuis sa création en 1988 lui confère une place unique dans le système financier international, position qui suscite légitimement des interrogations sur son rôle précis, son influence réelle, et les conséquences potentielles de son modèle économique sur la société et l’économie mondiale.
Comme l’ont souligné plusieurs chercheurs (Fichtner et Heemskerk, 2017 ; Braun, 2021 ; Azar et Morton, 2018), BlackRock ne peut être réduite ni à une figure entièrement négative, ni à un simple prestataire financier neutre. Son influence est réelle, notamment en raison de la concentration sans précédent de capitaux sous sa gestion et de son rôle indirect mais significatif dans la gouvernance d’entreprises majeures à l’échelle planétaire. Cependant, elle ne correspond pas non plus au fantasme parfois véhiculé d’une entreprise dictant secrètement les politiques publiques nationales, y compris en France, où ses activités opérationnelles demeurent modestes en comparaison de son poids mondial.
Le cas français illustre particulièrement bien comment BlackRock peut devenir, malgré elle, un symbole des inquiétudes sociales liées à la financiarisation croissante de l’économie et aux craintes d’une perte de souveraineté démocratique sur les politiques publiques. Toutefois, comme l’ont rappelé plusieurs économistes critiques, il convient de dépasser les procès d’intention ou les approches simplistes pour mieux comprendre le fonctionnement réel de BlackRock, afin de pouvoir réguler efficacement ses activités là où cela est nécessaire.
En définitive, BlackRock pose avant tout des questions de gouvernance, de transparence démocratique, et de régulation appropriée du secteur financier mondial. Les débats académiques actuels suggèrent clairement qu’il existe un besoin réel d’adaptation des règles économiques et démocratiques pour encadrer l’activité d’un acteur aussi puissant, sans pour autant entraver la contribution positive que ces grands fonds peuvent offrir en termes de diversification des risques, de démocratisation de l’investissement financier, et de soutien à des objectifs sociétaux comme la transition énergétique ou la responsabilité sociale des entreprises.
Plutôt que de diaboliser ou idéaliser un acteur tel que BlackRock, l’enjeu essentiel est de construire un dialogue public transparent, éclairé et constructif, capable d’intégrer ces grands acteurs financiers à un projet économique et démocratique commun. Cela nécessite, comme le soulignent de nombreux chercheurs, une meilleure compréhension collective des mécanismes financiers modernes et une régulation démocratique adaptée, afin de s’assurer que le secteur financier, même incarné par des géants comme BlackRock, reste au service de l’intérêt général et de la société dans son ensemble.
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