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Council on Foreign Relation (CFR)
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I.Origines et missions officielles du Council on Foreign Relations
II.Le CFR et son influence sur la politique étrangère américaine
III.Peurs, critiques et fantasmes autour du CFR
IV.Ce que l’on sait vraiment du Council on Foreign Relations
Depuis plus d’un siècle, le Council on Foreign Relations (CFR) occupe une place à part dans le paysage intellectuel et diplomatique des États-Unis. Fondé en 1921 à New York par un cercle de diplomates, de banquiers et de professeurs issus de la côte Est, cet institut privé s’est donné pour mission de « mieux comprendre le monde et les choix de politique étrangère » qui s’offrent aux décideurs américains (Council on Foreign Relations, About Us). À travers sa revue Foreign Affairs, ses groupes d’étude confidentiels, et ses conférences réunissant les plus hauts responsables, le CFR est souvent décrit comme une force de cohérence stratégique, capable d’influencer durablement la diplomatie américaine sans jamais prendre directement part aux décisions officielles.
Mais si le Council incarne pour ses partisans l’excellence de la pensée géopolitique et l’outil indispensable de toute grande puissance responsable, il concentre aussi, depuis des décennies, des critiques, des peurs diffuses et des soupçons de nature conspirationniste. Pour certains courants critiques – allant de la gauche anti-impérialiste à l’extrême droite isolationniste – le CFR serait bien plus qu’un simple think tank. Ses membres – secrétaires d’État, PDG, généraux, journalistes d’influence, intellectuels renommés – nourriraient, selon cette vision, une vision technocratique, élitiste et interventionniste des affaires du monde, largement déconnectée des intérêts des peuples et du contrôle démocratique.
Déjà en 1971, un long article du New York Times Magazine s’interrogeait sérieusement : « Le CFR est-il un club ? Un séminaire ? Ou un gouvernement invisible ? » (New York Times, 21 novembre 1971). En 1980, le représentant américain Larry McDonald (Démocrate, membre de la John Birch Society) déposait une résolution au Congrès pour ouvrir une enquête parlementaire sur le CFR, qu’il accusait de trahir la souveraineté nationale américaine au profit d’un agenda mondialiste. Plus récemment, certains commentateurs ont vu dans les propos du président du CFR de l’époque, Richard Haass, une volonté ouverte de réduire la souveraineté des États au profit de structures globales (Haass, The New York Times, 2006), tandis que d'autres ont dénoncé la nature « fermée » ou opaque des cercles du Council.
Ces critiques et peurs, souvent conspirationnistes, soulèvent néanmoins des questions légitimes sur la nature du pouvoir non élu, les biais idéologiques dominants dans les cercles d’influence, et le fonctionnement des élites globales dans un monde interconnecté.
Dans cet article, nous proposons une analyse rigoureuse, neutre et documentée du CFR, afin de répondre à la question : « Que sait-on vraiment ? »
Nous explorerons :
son histoire, ses structures et ses missions officielles
les réseaux de pouvoir qu’il active ou irrigue
les critiques sérieuses (ou moins sérieuses) qu’il suscite
les éléments factuels permettant d’y répondre sans passion ni caricature
Ni apologétique, ni pamphlétaire, cette étude vise à éclairer, et non juger, en donnant la parole aux faits, à toutes les sources accessibles et à la complexité du réel.
I. Origines et missions officielles du Council on Foreign Relations
I.A. Un contexte fondateur : l’Amérique face à sa puissance émergente (1919–1921)
L’idée d’un conseil permanent de réflexion stratégique sur les affaires mondiales germe dans l’immédiat après-guerre. En 1919, au moment de la Conférence de la Paix de Paris, plusieurs membres de la délégation américaine – dont le colonel Edward M. House (conseiller du président Woodrow Wilson) – s’alarment du manque de préparation intellectuelle des États-Unis sur les grands dossiers diplomatiques. Face à la montée en puissance de leur pays sur la scène mondiale, ils estiment qu’il est temps de structurer une pensée géopolitique indépendante et permanente. Cette initiative rejoint une idée similaire née au Royaume-Uni, où sera fondé à Londres le Royal Institute of International Affairs (Chatham House).
À leur retour, en 1921, ces diplomates, financiers, juristes et universitaires créent à New York une organisation à but non lucratif : le Council on Foreign Relations, qui tiendra sa première assemblée au Harold Pratt House sur la 68e rue, future demeure officielle du Conseil. Le CFR est ainsi le fruit de la fusion d’un réseau élitaire de la côte Est (Wall Street, Ivy League, think tanks embryonnaires) avec un idéal wilsonien : organiser la paix mondiale par le droit, les institutions et la coopération internationale.
« Il faut créer une institution pour aider les États-Unis à mieux comprendre le monde, à développer leur politique étrangère et à former ceux qui la dirigeront. »
(Edward M. House, notes personnelles, 1920 ; cité dans Schulzinger, The Wise Men of Foreign Policy, 1984)
I.B. Objectif initial et philosophie fondatrice
Dès sa création, le CFR affiche sa volonté de servir de forum d’analyse indépendant, sans engagement partisan, destiné à alimenter la décision publique. Il ne prétend pas peser directement sur les lois ni mener d’actions publiques, mais plutôt créer un espace de réflexion libre, dans la plus grande discrétion, entre responsables publics, chefs d’entreprise, militaires, journalistes et universitaires.
L’article de fondation précise que sa mission est de « favoriser la compréhension des relations internationales et de la politique étrangère américaine ». Cette mission, inchangée depuis un siècle, est réaffirmée sur son site officiel aujourd’hui encore :
« Le Council on Foreign Relations est une organisation indépendante, non partisane, dont l’objectif est d’être une ressource pour ses membres, les responsables politiques, les journalistes, les éducateurs et les citoyens afin de mieux comprendre le monde et les choix que posent les États-Unis dans leurs relations extérieures. »
(Council on Foreign Relations – About Us, site officiel)
Dès 1922, le CFR commence à publier Foreign Affairs, sa revue bimensuelle de géopolitique, destinée à devenir la publication de référence en matière de relations internationales. Le tout premier article publié, signé de George F. Kennan y expose une vision ambitieuse de l’engagement mondial des États-Unis.
I.C. Une structure privée et élitiste assumée
Le CFR est organisé comme un club privé d’influence. L’adhésion se fait sur cooptation, après sélection par un comité interne. En 2024, le Conseil revendiquait environ 5 000 membres actifs, dont la liste est aujourd’hui accessible publiquement sur son site – une évolution notable par rapport aux décennies passées, où le secret entourait davantage les cercles internes.
Les membres incluent :
des anciens présidents (George H. W. Bush, Bill Clinton),
des anciens secrétaires d’État (Condoleezza Rice, Madeleine Albright),
des directeurs de la CIA,
des PDG de multinationales (Goldman Sachs, JPMorgan, Google…),
des académiciens (Harvard, Yale, Princeton…),
des journalistes influents (The New York Times, The Economist, CNN).
Le CFR se présente comme un réseau d’élites multidisciplinaires. Il ne cherche pas à être représentatif de l’ensemble de la société civile, mais à offrir un lieu de dialogue confidentiel entre ceux qui, par leur fonction ou leur expertise, « ont une influence directe ou indirecte sur la politique étrangère américaine » (CFR, Membership Policy, 2023).
I.D. Financement : indépendance et philanthropie
Le CFR est financé principalement par :
des cotisations de membres,
des fondations philanthropiques (Ford, Carnegie, Rockefeller…),
des entreprises partenaires (via son Corporate Program),
des dons privés (grands mécènes américains et étrangers),
des revenus éditoriaux (Foreign Affairs).
En tant qu’organisation à but non lucratif, il publie chaque année un rapport financier détaillé. Son budget annuel dépasse aujourd’hui les 80 millions de dollars. Le CFR affirme dans ses statuts que les donateurs n’ont aucune influence sur les contenus ou recommandations des rapports, un principe parfois remis en question (nous y reviendrons).
I.E. Fonctionnement : débats, publications et groupes de travail
Le CFR fonctionne selon un double rythme :
Activités publiques :
publications accessibles (rapports, briefs, Foreign Affairs)
retransmissions vidéo et podcasts (CFR Events)
entretiens ouverts avec chefs d’État, ministres étrangers, prix Nobel, etc.
Activités privées :
groupes d’étude restreints (par invitation),
réunions confidentielles (off the record),
dîners fermés réunissant diplomates, généraux, PDG, chercheurs.
« Près de 60 % des réunions sont à huis clos afin de permettre des discussions franches entre experts et décideurs. »
(Richard Haass, Président du CFR, déclaration 2018)
Ces discussions confidentielles suivent en général la règle dite de Chatham House : on peut utiliser les idées échangées, mais sans identifier les intervenants.
II. Le CFR et son influence sur la politique étrangère américaine
II.A. Une fabrique d’idées
Le CFR n’est pas un organe décisionnel, mais il agit comme un « incubateur d’idées » et un amplificateur d’influence dans les cercles du pouvoir.
Historiquement, des figures majeures de la diplomatie et de la sécurité nationale américaine ont été associées au CFR, soit avant leur prise de fonctions, soit après :
George F. Kennan, père de la doctrine du containment, était un collaborateur régulier de Foreign Affairs.
Henry Kissinger, prix Nobel de la paix et architecte de la détente avec l’URSS et de l’ouverture à la Chine, a publié ses premiers essais géopolitiques au CFR dans les années 1950.
Zbigniew Brzeziński, conseiller à la sécurité nationale sous Carter, y tenait régulièrement des conférences.
Plus récemment : Condoleezza Rice, Hillary Clinton, Anthony Blinken, Robert Gates, ou encore Susan Rice y ont siégé ou ont participé activement à ses travaux.
« Une génération après l’autre, les plus hautes figures de la diplomatie américaine ont été formées, influencées ou intégrées au CFR »
(Emili J. Blasco, Universidad de Navarra, 2023)
Cette proximité est rendue possible par l’effet porte tournante (revolving door) : une partie des membres du CFR passent dans l’administration, puis reviennent à la vie privée ou intellectuelle, et inversement. Ce système crée une continuité idéologique entre le Conseil et l’appareil d’État, sans qu’il y ait de complot ou de planification secrète : simplement, les idées dominantes circulent dans un même écosystème.
II.B. Le rôle des groupes d’étude : la réflexion appliquée
Le CFR organise depuis les années 1940 des groupes d’étude sur des thèmes stratégiques, souvent financés par des fondations ou des entreprises mécènes. Ces groupes rassemblent pendant plusieurs mois :
d’anciens responsables publics,
des militaires en activité ou à la retraite,
des universitaires,
des représentants d’entreprises,
parfois des membres du Congrès ou des agences gouvernementales.
Les objectifs :
produire un diagnostic stratégique,
formuler des recommandations pratiques,
diffuser un rapport public, destiné aux décideurs.
Parmi les productions marquantes :
War and Peace Studies (1939–1945) : plus de 680 mémos confidentiels destinés au Département d’État pendant la Seconde Guerre mondiale.
Groupes sur la Chine dans les années 1960 : ils ont anticipé la reconnaissance diplomatique de Pékin par les États-Unis.
Études sur la mondialisation, le cyberespace, les armes nucléaires, l’intelligence artificielle, etc.
« Le CFR ne décide rien, mais il façonne le cadre mental dans lequel les décisions sont prises »
(Laurence H. Shoup, historien, 2015)
II.C. Un réseau de formation : sélection, légitimation et reproduction
Outre son rôle d’incubateur, le CFR agit comme vivier de recrutement et de légitimation pour les élites politiques américaines.
Selon un mémo interne des années 1970 cité par l’historien Laurence Shoup, un tiers des membres du CFR auraient occupé un poste public de haut niveau entre 1945 et 1975.
Quelques exemples :
12 sur 14 des “Wise Men” qui ont conseillé Lyndon Johnson sur le Vietnam étaient membres du CFR.
Sous Jimmy Carter (1977), presque tous les cadres du Département d’État venaient du CFR.
Sous Reagan, malgré ses promesses, plus de 200 membres du CFR ont intégré son administration.
Sous Clinton, Bush Jr., Obama et Biden, ce schéma se poursuit.
Cette continuité reflète le prestige associé au CFR, perçu comme un label d’expertise, voire un rite de passage pour accéder aux postes de direction dans la diplomatie ou les services de renseignement.
II.D. Influence réelle, mais sans pouvoir légal
Il faut néanmoins rappeler que :
Le CFR ne légifère pas ;
Il ne nomme personne ;
Il ne commande à aucun organe officiel.
Son influence repose sur :
La cohérence intellectuelle d’un système de pensée dominant ;
La proximité sociale et professionnelle avec les hauts responsables ;
La lente sédimentation d’une culture stratégique partagée par les élites américaines.
« Le CFR agit comme un amplificateur de consensus, pas comme un gouvernement bis »
(Daniel Miessler, analyste, 2021)
III. Peurs, critiques et fantasmes autour du CFR
III.A. Théories du complot : du soupçon à la mythologie
Depuis les années 1950, le CFR est régulièrement présenté, dans certains cercles radicaux américains (souvent d’extrême droite ou conspirationnistes), comme le cœur caché d’un « gouvernement mondial » en formation.
III.A.1. La "John Birch Society" et le mythe mondialiste
Cette société ultraconservatrice, créée en 1958, dénonce dans le CFR un outil d’élites cherchant à « abolir la souveraineté américaine » et à instaurer un gouvernement mondial. Elle accuse notamment :
des membres du CFR d’être liés à des sociétés secrètes comme Skull and Bones (Yale),
la formation d’une JASON Society, société « cachée dans la société », influençant secrètement le pouvoir.
Réponse :
Aucune preuve n’a été apportée sur l’existence de ces structures occultes.
Les membres, réunions et publications du CFR sont publics et vérifiables.
Ce type d’accusation repose souvent sur des amalgames ou extrapolations idéologiques.
III.A.2. Larry McDonald (1980) : un cas emblématique
Le député démocrate Larry McDonald, membre de la John Birch Society, déclara en 1983 :
« Un petit groupe d’individus contrôle depuis 40 ans la politique étrangère américaine à travers le CFR et la Commission Trilatérale. Leur objectif est clair : un gouvernement mondial sans souveraineté nationale. »
Il déposa même une résolution au Congrès (H. Res. 773) demandant une enquête sur le CFR.
Contexte :
Cette initiative n’a reçu aucun soutien parlementaire et fut rapidement classée.
Elle illustre cependant la méfiance profonde d’une frange politique envers les élites de la politique étrangère, accusées d’agir sans mandat démocratique.
III.A.3. Richard Haass et la souveraineté partagée
En 2006, Richard Haass, président du CFR, publie un article affirmant :
« Dans certains cas, les États doivent être prêts à céder une part de leur souveraineté s’ils veulent bénéficier d’un ordre mondial stable. »
Ce texte est fréquemment cité comme preuve que le CFR soutient la fin des nations souveraines.
Réalité du texte :
L’article est publié en ligne et accessible à tous.
Haass y plaide pour une gouvernance coopérative dans un monde globalisé, notamment sur des sujets comme le climat, les pandémies ou la sécurité.
Il évoque un équilibre entre souveraineté nationale et responsabilité internationale, pas un projet de gouvernement mondial coercitif.
« La souveraineté ne peut plus être considérée comme absolue dans un monde interconnecté. Mais cela ne signifie pas sa suppression. »
(Haass, The Reluctant Sheriff, 2006)
III.B. Le mythe du « gouvernement invisible »
L’expression « gouvernement invisible » vient d’un article de 1971 du New York Times Magazine intitulé :
« CFR : un club, un séminaire… ou un gouvernement invisible ? »
Ce terme est aujourd’hui souvent repris sans contexte. Il repose sur :
le fait que de nombreux membres du CFR occupent des postes officiels (secrétaires d’État, ambassadeurs, chefs militaires),
la tenue de réunions confidentielles à huis clos,
un sentiment de continuité idéologique, quel que soit le parti au pouvoir.
Éléments de réponse :
Le CFR ne décide rien : il ne possède aucun pouvoir exécutif ou législatif.
Sa force réside dans sa capacité à formuler un consensus stratégique qui peut influencer les décideurs.
Toutes ses publications, la liste de ses membres, son financement et sa structure sont publiques.
III.C. Critiques fondées : élitisme, biais idéologique, conflits d’intérêts
Au-delà des théories conspirationnistes, des critiques sérieuses et documentées existent à propos du CFR.
III.C.1. Une élite fermée et peu représentative
Le CFR regroupe une élite socio-économique restreinte : anciens hauts fonctionnaires, PDG, généraux, professeurs d’universités prestigieuses.
La grande majorité de ses membres vient des milieux blancs, masculins, issus de la côte Est, formés dans les mêmes écoles.
Effet induit :
Risque de pensée homogène, peu connectée à la diversité du peuple américain.
Favorise un consensus centriste internationaliste et pro-libéralisation.
III.C.2. Proximité avec les intérêts privés et le complexe militaro-industriel
Nombre de membres sont liés à des multinationales, des banques, des fonds d’investissement ou des industries de défense.
Exemples : BlackRock, Boeing, Goldman Sachs, Lockheed Martin.
Des donateurs étrangers (ex : oligarques russes, magnats chinois) ont financé des projets du CFR.
Cas emblématique :
En 2019, le CFR reçoit 12 millions de dollars de Len Blavatnik, milliardaire russo-britannique lié à des oligarques proches du Kremlin. Cela provoque un scandale interne.
Réponse :
Le CFR a été interpellé par ses propres membres, signe d’un débat interne relativement sain.
Il affirme que les donateurs n’influencent pas les contenus.
Mais la question des conflits d’intérêts reste une vulnérabilité, comme pour tous les think tanks dépendants de fonds privés.
III.C.3. Biais interventionniste
De nombreuses critiques (à gauche comme à droite) accusent le CFR de favoriser des politiques d’intervention militaire :
soutien à la guerre du Vietnam,
justification de l’intervention en Irak,
approbation de l’expansion de l’OTAN.
Nuances importantes :
Des divisions internes existent : dans les années 1960, certains membres ont ouvertement critiqué la guerre du Vietnam.
Depuis les années 2010, des voix internes plaident pour un désengagement raisonné (ex : Richard Haass, « l’âge de la désorganisation », 2020).
IV. Ce que l’on sait vraiment du Council on Foreign Relations
Après un siècle d’existence, le Council on Foreign Relations n’est ni un mystère absolu ni une institution parfaitement transparente. C’est un acteur complexe, à la fois très visible et partiellement fermé, respecté et controversé, influent mais non tout-puissant. Ce chapitre propose une lecture équilibrée des faits établis, des critiques légitimes, et des imaginaires projetés sur le CFR.
IV.A. Le CFR n’est pas une organisation secrète
Contrairement à ce que certaines théories populaires laissent entendre, le CFR ne fonctionne pas dans l’ombre au sens strict du terme. Il s’agit d’une organisation légalement enregistrée, dotée d’un siège social, d’un site internet public, d’un budget annuel déclaré, d’un président (actuellement Michael Froman) et d’un conseil d’administration connu.
Sa revue phare, Foreign Affairs, est accessible en ligne, ses rapports d’étude sont consultables, ses conférences publiques sont enregistrées, et la liste complète de ses membres est téléchargeable. Ce niveau de transparence exclut toute qualification raisonnable de société secrète ou de pouvoir occulte au sens classique du terme.
Il est exact que la majorité des réunions du CFR se déroulent à huis clos, dans le respect de la règle de Chatham House. Ce mode de fonctionnement est courant dans le monde des think tanks, afin de favoriser la liberté de parole des intervenants.
En résumé, si le CFR pratique une forme de discrétion institutionnelle, cela ne signifie pas qu’il opère dans l’illégalité ou la clandestinité.
IV.B. Son influence est réelle, mais non absolue
Il est incontestable que le CFR a joué — et joue encore — un rôle central dans la définition des cadres de la politique étrangère américaine. Son influence repose sur plusieurs mécanismes documentés :
La production d’idées stratégiques reprises par les décideurs ;
La formation de réseaux élitaires qui relient diplomatie, université, armée et affaires ;
La circulation continue des élites entre les cercles du CFR et l’appareil d’État.
Cela dit, cette influence ne se traduit pas par un pouvoir formel. Le CFR ne rédige ni lois, ni traités, et ne dispose d’aucune autorité constitutionnelle. Il est un acteur de l’écosystème intellectuel et institutionnel, au même titre que d’autres laboratoires d’idées, universités, revues, ou groupes de pression.
Sa capacité d’impact dépend donc de sa crédibilité, de ses connexions personnelles, et de la perméabilité du pouvoir politique à ses recommandations — ce qui varie selon les administrations, les contextes et les rapports de force internes à Washington.
IV.C. Le CFR épouse une vision internationaliste assumée
Contrairement à certaines affirmations sensationnalistes, le CFR ne cache pas ses orientations idéologiques. Il est historiquement porteur d’une pensée dite wilsonienne, du nom du président Woodrow Wilson : c’est-à-dire une vision selon laquelle les États-Unis ont la responsabilité morale et stratégique de soutenir un ordre international fondé sur le droit, la coopération, le commerce, la diplomatie multilatérale, et parfois l’usage légitime de la force.
Cette orientation ne relève pas d’un plan secret, mais d’un positionnement géopolitique classique qui traverse une grande partie de la politique étrangère américaine depuis 1945. En ce sens, le CFR n’est pas un manipulateur de conscience mais plutôt un moteur d’homogénéisation des idées dominantes dans l’élite dirigeante.
Il est exact que cette orientation est favorable à la mondialisation économique, à la défense d’un « ordre libéral international », et au rôle actif des États-Unis dans le monde. Pour ses partisans, cela garantit stabilité et prospérité. Pour ses critiques, cela reflète un biais en faveur des grandes entreprises, des intérêts financiers, et des ambitions hégémoniques américaines.
IV.D. Il cristallise des critiques fondées sur la forme et sur le fond
Le CFR concentre plusieurs critiques légitimes, même en dehors de toute théorie conspirationniste :
Il s’agit d’une structure élitiste, peu représentative de la population, où l’on entre par cooptation, souvent après être passé par les grandes universités ou les milieux d’affaires.
Son fonctionnement peut favoriser une pensée de groupe, autocentrée, où les divergences de vues sont moins nombreuses que dans un cadre véritablement pluraliste.
Son financement, bien qu’encadré, soulève des questions de dépendance potentielle à l’égard de certains bailleurs, notamment des multinationales ou des fondations privées.
Son discours dominant a parfois accompagné ou légitimé des politiques contestables, comme l’intervention en Irak ou l’expansion militaire en Asie.
Cependant, ces critiques portent sur les dérives possibles d’un cercle d’influence intellectuelle, pas sur une volonté dissimulée de domination mondiale. Elles traduisent une crainte démocratique légitime : celle de voir les décisions majeures du pays préparées, filtrées, ou prédéfinies par une caste étroite et peu accountable.
IV.E. Il alimente des fantasmes en raison de son opacité partielle
La part de mystère qui entoure le CFR — notamment son histoire longue, sa tradition de discrétion, ses liens historiques avec les grandes familles industrielles (Rockefeller, Morgan), ou son usage fréquent du huis clos — nourrit une surenchère interprétative.
La logique est simple : plus une structure est puissante et réservée, plus elle devient un support idéal pour des récits de type conspirationniste. Ce phénomène est accentué par l’ère numérique, où la diffusion d’hypothèses non fondées s’amplifie rapidement.
Il faut donc distinguer deux niveaux de lecture :
Une lecture sociologique et critique (le CFR comme élite de pouvoir, entre-soi, biais idéologique) ;
Une lecture fantasmatique (le CFR comme organe d’un complot mondial organisé).
La première relève du débat démocratique. La seconde, souvent infondée et surinterprétative, détourne l’attention des enjeux réels.
IV.F. Ce que révèle le CFR sur notre époque
Étudier le CFR, c’est aussi comprendre une forme contemporaine de pouvoir souple et diffus, qui ne s’exerce pas par la coercition, mais par l’idée, l’expertise, le réseau. Ce pouvoir ne s’impose pas, il se construit par la reconnaissance, la légitimité et la continuité entre cercles sociaux.
Ce que montre l’histoire du CFR, c’est que les idées dominantes ont des lieux de naissance, de propagation et de validation. Le Conseil en est un, parmi d’autres. Mais il est sans doute l’un des plus puissants et les plus anciens.
Cela n’implique pas qu’il détient la vérité, ni qu’il échappe à la critique. Cela implique surtout que tout citoyen informé doit savoir où se produisent les idées qui guident le monde.
Conclusion
Le Council on Foreign Relations n’est ni un fantasme absolu, ni une institution anodine. C’est un acteur ancien, puissant, structurant, mais bien réel et visible.
Sa force réside dans sa capacité à produire, filtrer, formater et diffuser des idées puissantes, au sein d’un entre-soi légitimé. Il agit moins par manipulation que par normalisation. Il ne dirige pas le monde, mais forme ceux qui le dirigent. Il ne cache pas un plan, mais propose une vision — structurée, cohérente, parfois contestable — du rôle que les États-Unis doivent jouer dans les affaires mondiales.
Le CFR est donc une institution d’influence, pas un organe de pouvoir direct. Il n’émet pas d’ordres, mais des signaux. Il ne vote pas les lois, mais façonne le climat dans lequel les lois et les choix stratégiques prennent forme.
Cela ne le rend ni innocent, ni coupable, mais simplement indispensable à comprendre. Il est une lentille sur les élites globalisées, sur les structures de continuité dans la diplomatie américaine, sur la manière dont le savoir, la puissance et les intérêts s’articulent sans toujours se dire.
S’informer sérieusement sur le CFR, ce n’est pas chercher une révélation sensationnelle. C’est observer comment le pouvoir intellectuel, social et politique se construit dans une démocratie questionnée.
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