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Histoire des "false flag", les attaques sous faux drapeaux
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Le terme false flag, ou « faux drapeau », désigne une opération secrète conduite de manière à en imputer la responsabilité à une partie tierce. Historiquement, l’expression vient du vocabulaire naval, où des navires de guerre hissaient le pavillon d’un autre pays pour tromper l’ennemi ou s’approcher d’un objectif sans éveiller de méfiance. Ce stratagème est rapidement devenu une métaphore pour des actions plus larges de tromperie politique, militaire ou sécuritaire. Dans son acception moderne, une opération false flag suppose l’organisation délibérée d’un acte hostile – sabotage, attentat, provocation armée – dont la responsabilité est attribuée à un adversaire désigné, afin de justifier une riposte, un conflit ou une politique répressive. Il ne s’agit donc pas simplement d’un mensonge, mais d’un montage complexe, souvent soutenu par l’appareil d’État ou des services de renseignement.
L’histoire des false flags est ancienne et multiforme. Elle traverse les siècles, des manœuvres politiques de l’Antiquité aux provocations frontalières de l’époque moderne, en passant par les manipulations d’opinion à l’ère contemporaine. Si les moyens technologiques ont changé, les logiques restent similaires : utiliser la tromperie pour inverser les responsabilités et obtenir l’assentiment d’un public à une action autrement inacceptable. Dans certains cas, ces opérations ont servi à déclencher des guerres ; dans d’autres, à éliminer des opposants, à renforcer un pouvoir, ou à modeler l’opinion.
Cependant, la simple existence avérée de ces opérations historiques a contribué à nourrir un climat généralisé de soupçon. Ainsi, des événements tragiques et authentiques sont parfois, sans preuve, assimilés à des false flags par des récits spéculatifs ou complotistes. Il importe donc de faire la distinction entre les faits étayés par des documents, enquêtes ou aveux, et les interprétations sans fondement. L’objectif de cet article est précisément de retracer l’histoire rigoureuse et documentée des false flags avérés à travers le monde, sans jugement de croyance, en mettant en lumière leurs formes, leurs mécanismes, leurs conséquences et leur impact durable sur les sociétés.
Pour ce faire, nous explorerons des épisodes vérifiés, issus de contextes géographiques et historiques variés – Europe, Asie, Moyen-Orient, Afrique, Amériques –, en distinguant les types d’opérations (militaires, politiques, de renseignement, psychologiques). Une attention particulière sera portée aux événements des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles, période où la documentation est la plus riche et les effets les plus visibles. Il ne s’agira ni d’exhaustivité ni d’hypothèses, mais d’un panorama raisonné et sourcé de faits établis. C’est dans cette démarche de lucidité critique que s’inscrit l’étude ici proposée.
I. Racines historiques et proto-false flags avant le XXe siècle
I.1. Tromperie et manipulation dans l’Antiquité
L’idée de manipuler la perception de l’ennemi par des ruses ou déguisements est aussi vieille que la guerre elle-même. Les traités de stratégie de l’Antiquité, comme ceux de Sun Tzu en Chine ou les Commentaires de Jules César à Rome, soulignent l’importance de la duperie comme levier de domination. Toutefois, dans ces époques, on parle plus volontiers de ruse de guerre que de false flag au sens moderne, car l’enjeu n’est pas encore d’imputer un acte à un autre pour justifier une guerre, mais bien de vaincre par la surprise.
Dans la Rome antique, certains historiens ont soupçonné l’empereur Néron d’avoir ordonné l’incendie de Rome en 64 apr. J.-C. afin de pouvoir accuser les chrétiens et détourner sur eux la colère populaire. L’historien Tacite rapporte ce récit, précisant que l’empereur cherchait un coupable commode pour dévier les soupçons portés sur lui. Néanmoins, aucun document ou preuve ne permet aujourd’hui de confirmer ce scénario, qui relève davantage de la spéculation antique que du false flag avéré.
À la même époque, l’assassinat de Philippe II de Macédoine, père d’Alexandre le Grand, en 336 av. J.-C., a été suivi de rumeurs d’initiatives manipulées dans l’ombre. Selon certains récits antiques, la reine Olympias, épouse de Philippe, ou Alexandre lui-même auraient pu laisser faire l’attentat tout en désignant officiellement un coupable unique, le garde du corps Pausanias. Là encore, l’absence de preuve directe empêche de parler de false flag, mais illustre l’ancienneté des stratégies de responsabilité inversée.
Plus proche du concept moderne, un épisode troublant se produit en Perse vers 330 av. J.-C. : un imposteur, se faisant passer pour Alexandre le Grand, se livre à des violences contre des civils pour susciter une révolte contre le vrai Alexandre. Les chroniqueurs antiques voient dans cette manœuvre une opération de guerre psychologique. Il ne s’agit pas d’un false flag étatique, mais le principe de provoquer une réaction politique par un acte volontairement attribué à un autre est déjà à l’œuvre.
I.2. L’usage naval du faux drapeau : une pratique codifiée
Le terme false flag provient directement de la marine de guerre des XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles. Il était courant qu’un navire hissant les couleurs d’un autre pays cherche à tromper ses ennemis, une pratique admise comme ruse tant que le pavillon authentique était arboré avant l’engagement. Toutefois, certains enfreignaient cette règle, attaquant ou tirant sans avoir levé leur véritable bannière. Dans ces cas, la manœuvre devenait une tromperie interdite, assimilable à une trahison des lois de la guerre.
Durant les guerres napoléoniennes, les escadres britanniques, françaises ou espagnoles recouraient régulièrement à ce subterfuge. Par exemple, le capitaine Thomas Cochrane de la Royal Navy utilisait de fausses couleurs pour s’approcher de navires ennemis sans éveiller leur vigilance. Il ne s’agissait pas encore d’opérations politiques, mais bien militaires – une distinction importante pour la suite.
Cette origine navale du false flag explique la dimension stratégique, tactique et symbolique attachée au drapeau, marque de souveraineté, de ralliement et de responsabilité. L’usage détourné du pavillon devient ainsi une forme codifiée de tromperie de guerre, tolérée ou non selon les cas.
I.3. Premiers false flags documentés dans l’histoire moderne
Le premier cas pleinement avéré d’un false flag étatique visant à déclencher une guerre remonte à 1788. À cette date, le roi Gustave III de Suède, désireux de déclarer la guerre à la Russie, se heurte à l’opposition du parlement suédois, qui ne veut pas d’un conflit d’initiative royale. Pour surmonter cette difficulté légale, Gustave III ordonne une mise en scène militaire.
Selon les archives du Riksarkivet (archives royales suédoises), un groupe de soldats suédois est habillé en uniformes russes et mène une attaque contre un poste-frontière à Puumala, en Finlande (alors territoire suédois). L’objectif est clair : provoquer une émotion nationale et créer un casus belli artificiel. Le subterfuge fonctionne : le parlement, convaincu de l’agression russe, autorise l’entrée en guerre. C’est le déclenchement de la guerre russo-suédoise de 1788-1790. Ce cas est considéré par les historiens suédois comme un exemple-type d’opération de provocation sous faux drapeau, avec documentation d’État à l’appui.
Un autre cas classique, bien que plus subtil, est l’affaire de la dépêche d’Ems en 1870. Otto von Bismarck, chancelier prussien, souhaite déclencher un conflit contre la France pour unifier les États allemands sous l’autorité prussienne. Il manipule alors une dépêche télégraphique officielle relatant un échange diplomatique entre l’ambassadeur de France et le roi de Prusse. En la reformulant dans une version abrégée et offensante, Bismarck suscite en France une réaction nationaliste immédiate : Napoléon III déclare la guerre le 19 juillet 1870. L’objectif est atteint : la Prusse paraît attaquée, et peut entrer en guerre avec l’opinion publique européenne de son côté.
Ce n’est pas un false flag militaire, mais un false flag diplomatique, où une provocation verbale est fabriquée de toute pièce pour provoquer une réponse adverse. Il s’agit d’une forme de manipulation stratégique sans recours à la violence, mais qui suit la logique du faux prétexte assumé.
II. 1900–1939 : Vers le false flag moderne
Le XXe siècle voit le passage d’opérations ponctuelles de manipulation à des stratégies de tromperie systématisées par des États modernes. Avec l’essor de la presse de masse, de la propagande étatique et des rivalités impérialistes, le false flag devient un outil de politique étrangère. Ce n’est plus seulement une ruse tactique ou un habillage diplomatique : c’est un dispositif préparé, intégré à des opérations de guerre ou de répression, et destiné à manipuler à grande échelle l’opinion publique. Plusieurs cas avérés entre 1931 et 1939 vont illustrer cette évolution.
II.1. L’incident de Mukden (1931) – le sabotage planifié par l’armée japonaise
Le 18 septembre 1931, un attentat ferroviaire est perpétré près de Mukden (aujourd’hui Shenyang), en Mandchourie, contre la ligne exploitée par les Chemins de fer sud-mandchous, une infrastructure stratégique sous contrôle japonais. L’armée du Guandong, principale force impériale japonaise en Chine, accuse immédiatement des saboteurs chinois, puis lance une offensive militaire massive.
Or, dès 1932, plusieurs enquêtes internationales – notamment celle menée par la Commission Lytton envoyée par la Société des Nations – révèlent que l’attaque a été orchestrée par des officiers japonais eux-mêmes. Le colonel Seishirō Itagaki et le lieutenant Kanji Ishihara sont directement désignés comme les organisateurs du faux attentat. Selon les témoignages de l’époque, l’explosion a causé des dégâts mineurs et n’a même pas interrompu le trafic ferroviaire ; le sabotage n’était donc qu’un prétexte symbolique.
Les travaux de l’historien Akira Fujiwara (Université Hitotsubashi) et les mémoires postérieures de plusieurs officiers japonais confirment la nature frauduleuse de l’incident. L’objectif était de justifier une invasion préparée de longue date, sans attendre l’aval du gouvernement de Tokyo. Le faux sabotage réussit pleinement : il conduit à l’occupation de la Mandchourie et à la création d’un État fantoche, le Mandchoukouo, dirigé par l’ancien empereur chinois Puyi. Ce cas est reconnu par l’historiographie japonaise contemporaine (notamment Saburo Ienaga) comme un des exemples les plus clairs de false flag militaire étatique.
II.2. L’incendie du Reichstag (1933) – instrumentalisation ou complot ?
Dans la nuit du 27 février 1933, le Reichstag, siège du parlement allemand, est incendié. Un jeune militant communiste néerlandais, Marinus van der Lubbe, est arrêté sur place et revendique l’acte. Le lendemain, Hitler – tout juste nommé chancelier – accuse les communistes d’avoir voulu détruire la République. Un décret présidentiel suspend les libertés publiques, autorise les arrestations massives, et marque le basculement vers la dictature nazie.
Depuis 1933, les historiens s’interrogent sur la nature exacte de l’événement. Certains – comme Fritz Tobias ou Hans Mommsen – estiment que van der Lubbe a agi seul, motivé par une idéologie nihiliste. D’autres, comme William Shirer (The Rise and Fall of the Third Reich) ou Alexander Bahar et Wilfried Kugel (Der Reichstagsbrand, 2001), s’appuient sur les documents du procès de Leipzig, des archives de la SA et les mémoires de Rudolf Diels, chef de la Gestapo, pour affirmer que le feu a été provoqué ou facilité par les nazis eux-mêmes.
Même sans preuve formelle d’un ordre donné par Hitler ou Goebbels, il est avéré que l’attentat a été immédiatement exploité pour liquider les libertés fondamentales et détruire l’opposition politique. La rapidité des décrets d’exception, la mise en scène médiatique, et la coordination policière laissent peu de doute sur la préméditation du coup politique, sinon de l’incendie lui-même. Le consensus parmi les chercheurs critiques (notamment l’historien allemand Hersch Fischler) est que le régime nazi a au minimum laissé faire l’attaque, voire l’a organisée via les SA, pour la présenter comme un acte subversif communiste.
II.3. L’opération Himmler et l’incident de Gleiwitz (1939) – une série de provocations déguisées
À l’été 1939, Adolf Hitler cherche un prétexte pour envahir la Pologne. Il confie à Reinhard Heydrich, chef du SD (Service de sécurité), l’organisation d’une série d’attaques simulées contre des installations allemandes à la frontière polonaise. Le plan, connu sous le nom d’Opération Himmler, comprend plus de vingt fausses attaques censées créer l’illusion d’une agression polonaise.
L’événement central est l’attaque de la station radio de Gleiwitz, le 31 août 1939. Un commando SS, dirigé par l’officier Alfred Naujocks (qui en témoigna après la guerre à Nuremberg), s’introduit dans la station habillé en soldats polonais, émet un message en polonais appelant à la révolte, puis laisse sur place des cadavres vêtus d’uniformes polonais – en réalité, des détenus de camps de concentration exécutés pour l’occasion. Le lendemain, Hitler déclare la guerre à la Pologne, affirmant que « des bandes polonaises ont franchi notre territoire ».
Les documents de Nuremberg (notamment les aveux de Naujocks) et les archives SS déclassifiées montrent clairement la nature planifiée et coordonnée de l’opération. Des opérations similaires ont eu lieu la même nuit à Hochlinden, Pitschen et d’autres postes-frontière. Toutes ont suivi le même schéma : faux uniformes, mises en scène de combats, dépôts de faux cadavres. L’objectif était triple : créer un casus belli, manipuler la presse allemande, et justifier la guerre comme acte de légitime défense.
L’Opération Himmler est l’un des cas les plus documentés de false flag militaire à grande échelle, impliquant les plus hauts échelons du régime nazi.
II.4. L’affaire de Mainila (URSS – 1939) – provocation frontalière soviétique contre la Finlande
Le 26 novembre 1939, sept tirs d’artillerie frappent le village soviétique de Mainila, près de la frontière finlandaise. L’Union soviétique accuse la Finlande d’avoir tiré sans provocation et exige un retrait immédiat de ses troupes de la frontière. Face au refus d’Helsinki, l’URSS envahit la Finlande quatre jours plus tard : c’est le début de la Guerre d’Hiver.
Des années plus tard, des documents soviétiques et les travaux de chercheurs russes post-soviétiques (notamment Pavel Aptekar et Viktor Suvorov) révèlent que les tirs provenaient en réalité de batteries soviétiques positionnées à l’arrière. L’opération visait à créer un incident artificiel pour justifier l’agression. En 1994, le président russe Boris Eltsine reconnaît officiellement que l’URSS était l’agresseur dans ce conflit.
Le false flag de Mainila est donc pleinement avéré : les tirs ont été menés par le NKVD ou l’armée rouge, puis attribués à la Finlande pour fabriquer un prétexte diplomatique à une invasion planifiée.
III. Seconde Guerre mondiale : tromperies tactiques et opérations hybrides
Pendant la Seconde Guerre mondiale (1939–1945), les opérations clandestines et de tromperie prennent une ampleur inédite, mais changent de nature. Dans un contexte de guerre totale, les États n’ont plus besoin de false flags pour déclencher un conflit : celui-ci est déjà en cours. En revanche, la tromperie devient un instrument crucial d’avantage tactique, de démoralisation ou de guerre psychologique. Dans certains cas, ces opérations conservent une logique de fausse attribution, mais souvent, elles relèvent davantage de la ruse militaire ou du camouflage d’identité, et non d’un false flag politique stricto sensu. La frontière entre les deux notions devient alors plus floue.
III.1. Le raid britannique sur Saint-Nazaire (1942) – déguisement tactique, but stratégique
Dans la nuit du 27 au 28 mars 1942, les forces britanniques mènent une opération audacieuse contre la base sous-marine allemande de Saint-Nazaire, en France occupée. Un vieux destroyer britannique désarmé, le HMS Campbeltown, est modifié pour ressembler à un destroyer allemand de classe Möwe, et peint aux couleurs de la Kriegsmarine. Accompagné de petites embarcations, il s’approche du port sous ce faux pavillon.
Cette ruse permet aux Britanniques de gagner du temps, de surprendre les défenses allemandes, et de percuter la forme-écluse Joubert avec le navire rempli d’explosifs. L’explosion retardée détruira les installations portuaires, empêchant l’accès aux cuirassés allemands pour plusieurs années.
L’opération est considérée comme un chef-d’œuvre de la Royal Navy. Toutefois, elle n’est pas un false flag au sens strict : les Britanniques n’ont pas cherché à faire croire que l’attaque venait d’un tiers, ni à attribuer les dommages aux Allemands eux-mêmes. Il s’agit ici d’une tromperie tactique classique, selon les règles de la guerre (pavillon faux levé jusqu’au tir, mais assumé ensuite), comparable à l’usage d’uniformes ennemis pour infiltrer une position.
III.2. L’opération Greif (1944) – déguisements et confusion, sans attribution trompeuse
Lors de l’offensive des Ardennes en décembre 1944, Adolf Hitler autorise une mission spéciale sous le commandement d’Otto Skorzeny, célèbre pour ses opérations spéciales (dont la libération de Mussolini en 1943). L’opération Greif (griffon) consiste à faire passer des commandos allemands pour des soldats américains.
Les 150 hommes de Skorzeny portent des uniformes US récupérés sur des prisonniers ou des stocks. Ils infiltrent les lignes alliées pour saboter des ponts, changer les panneaux routiers et semer la panique. Certains sont capturés et exécutés selon les lois de la guerre pour port d’uniforme ennemi. Cette opération entraîne une paranoïa chez les troupes américaines : tout soldat est suspecté, des mots de passe sont modifiés en urgence, et plusieurs arrestations erronées se produisent.
Skorzeny témoignera à son procès que l’objectif n’était pas de commettre des atrocités, mais d’introduire la confusion. Aucune preuve n’indique que les Allemands aient tenté d’imputer leurs actions aux Américains eux-mêmes ou à d’autres forces. On est donc ici dans une tromperie opérationnelle, mais pas un false flag au sens d’une attaque attribuée à un tiers.
III.3. Contre-insurrection soviétique en Ukraine (1944–1945) – infiltration et fausses atrocités
Un des rares exemples de false flag politique au sens propre durant la guerre concerne les zones reconquises par l’Union soviétique. Après la défaite nazie sur le front Est, l’Armée rouge reprend possession de l’Ukraine occidentale, où l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), nationaliste et anticommuniste, mène une guérilla.
Pour briser le soutien de la population locale à cette résistance, les services du NKVD (ancêtre du KGB) organisent des opérations déguisées : des unités soviétiques se font passer pour des combattants de l’UPA, commettant des atrocités contre des civils ukrainiens – incendies de fermes, exécutions sommaires, viols – dans le but de démoniser le mouvement et de le couper de sa base.
Des documents issus des archives soviétiques déclassifiées après 1991, notamment par le Centre Memorial et les chercheurs Volodymyr Viatrovych et Yuriy Shapoval, confirment la réalité de ces opérations. Plusieurs directives du NKVD décrivent précisément la conduite à tenir pour imiter le comportement des insurgés, tout en laissant des traces accusatrices sur les lieux des crimes (tracts, slogans, etc.).
Ce type d’action correspond pleinement à la définition d’un false flag : des violences préméditées imputées à un ennemi intérieur afin de justifier une répression et de manipuler l’opinion. Dans ce cas, l’État soviétique a consciemment orchestré une désinformation par l’acte, en utilisant la peur comme outil de contrôle.
III.4. Fausse rumeur et armée fantôme : la déception comme méthode alliée
À l’inverse des exemples précédents, les Alliés utilisèrent également des formes de tromperie stratégique, sans attribution fausse. L’opération Fortitude, par exemple, précéda le Débarquement en Normandie en 1944. Il s’agissait de faire croire à une invasion alliée dans le Pas-de-Calais au lieu de la Normandie, en construisant de faux camps, des tanks gonflables et en diffusant de fausses communications radio.
Il ne s’agissait pas de false flag (aucune action n’était attribuée à l’ennemi), mais de désinformation stratégique. Le général Patton lui-même fut intégré à ce plan, simulant un commandement fictif pour renforcer l’illusion. Le Haut Commandement allemand y crut, maintenant de nombreuses divisions loin du véritable point d’impact.
Ce type d’opération démontre que la tromperie de guerre peut être décisive sans pour autant franchir la ligne éthique du false flag (pas de simulation de crime, pas de fausse responsabilité).
IV. Guerre froide : l’âge d’or du false flag politique
La Guerre froide (1947–1991) est une période marquée par l’opposition globale entre deux blocs : l’un dirigé par les États-Unis et l’OTAN, l’autre par l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie. Ce conflit, en grande partie indirect, se joue sur des terrains multiples : diplomatique, militaire, économique… mais aussi idéologique. Dans ce contexte, les false flags ne visent plus à déclencher des guerres conventionnelles, mais à renverser des gouvernements, déstabiliser des régimes, discréditer des mouvements politiques ou créer un ennemi intérieur. Les appareils de renseignement, devenus acteurs centraux, perfectionnent ces opérations pour en faire des instruments de guerre psychologique.
IV.1. 1953 – Iran : Opération Ajax, le false flag contre Mossadegh
En 1951, le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh nationalise la compagnie pétrolière Anglo-Iranian Oil Company, provoquant la colère du Royaume-Uni. Washington, inquiet d’un basculement du pays dans l’orbite soviétique, s’allie au MI6 pour renverser Mossadegh. L’opération clandestine prend le nom de TP-AJAX.
Des documents déclassifiés par la CIA en 2013 confirment que les agents américains, dirigés sur le terrain par Kermit Roosevelt Jr., financèrent des groupes extrémistes et orchestrèrent de faux attentats dans des quartiers iraniens sensibles, notamment contre des mosquées et des journaux conservateurs, en laissant des tracts signés au nom du Parti communiste Tudeh. L’objectif : faire croire que Mossadegh et les communistes préparaient une révolution anti-islamique et anti-monarchique.
Cette campagne de terreur sous fausse bannière permit de retourner une partie de la population religieuse et de préparer le terrain à une intervention militaire. Le 19 août 1953, le coup d’État renverse Mossadegh et replace le Shah sur le trône avec le soutien de l’armée. Il s’agit d’un false flag politique et opérationnel : les commanditaires ont délibérément créé des violences en attribuant leur paternité à l’adversaire.
IV.2. 1954 – Égypte : Opération Susannah (Affaire Lavon)
L'année suivante, les services de renseignement israéliens recrutent un réseau de jeunes juifs égyptiens pour mener des attentats à la bombe contre des institutions britanniques et américaines au Caire et à Alexandrie. Le but : faire accuser les nationalistes égyptiens et ainsi saboter le rapprochement entre l’Égypte de Nasser et les puissances occidentales.
Les attentats visent notamment des bibliothèques, un cinéma et des centres culturels. Des tracts en arabe sont retrouvés, pointant vers les Frères musulmans ou les communistes. Mais l’opération échoue quand une bombe explose prématurément. Un des agents, Philip Natanson, est arrêté. Le réseau est démantelé, et l’affaire provoque un scandale diplomatique majeur.
Israël nie d’abord son implication. Mais en 2005, l’État hébreu reconnaît officiellement que ces agents avaient agi pour son compte, et leur rend hommage à titre posthume. Ce false flag d’État – connu sous le nom d’Affaire Lavon, du nom du ministre israélien de la Défense de l’époque – est l’un des rares cas assumés a posteriori par un gouvernement.
IV.3. 1955 – Pogrom d’Istanbul : bombe sous faux drapeau contre la minorité grecque
Le 6 septembre 1955, des émeutes nationalistes éclatent à Istanbul après l’annonce qu’une bombe aurait détruit la maison natale de Mustafa Kemal Atatürk à Thessalonique, en Grèce. La presse turque accuse immédiatement des extrémistes grecs. Des foules s’en prennent alors aux quartiers grecs, arméniens et juifs : plus de 4000 habitations et commerces sont saccagés, des dizaines d’églises brûlées, des femmes violées et des morts non comptabilisés officiellement.
Mais l’enquête grecque démontre que l’auteur de l’attentat est un jeune employé turc du consulat à Thessalonique, formé par les services spéciaux. Il avoue rapidement que la bombe a été posée sous ordre. En Turquie, les autorités étouffent l’affaire et maintiennent la version officielle.
Des historiens turcs (notamment Rıdvan Akar) ont depuis documenté ce false flag, montrant qu’il avait été orchestré pour justifier une répression anti-grecque et accélérer l’expulsion de cette minorité. Ce cas est emblématique d’un false flag ethnique, utilisé pour créer une crise intérieure à visée nationaliste.
IV.4. 1962 – États-Unis : Opération Northwoods (plan non exécuté)
Déclassifié dans les années 1990, un document stupéfiant émerge des archives du Pentagone : l’opération Northwoods, conçue par l’état-major interarmées américain. Ce plan prévoyait toute une série de faux attentats terroristes sur le territoire des États-Unis – détournement d’avion, explosion d’un navire militaire, attaques dans des villes – afin d’en imputer la responsabilité au gouvernement cubain de Fidel Castro.
Le plan allait jusqu’à proposer la création de fausses listes de victimes, l’organisation de funérailles pour des soldats fictifs, et la diffusion de preuves fabriquées à destination des médias. L’objectif : justifier une intervention militaire contre Cuba, sans avoir à subir le coût politique d’une guerre offensive.
Le président John F. Kennedy rejette fermement le projet. Northwoods ne sera jamais mis en œuvre. Mais sa seule existence démontre que le false flag intérieur était envisagé comme une option stratégique acceptable par certains cercles militaires américains à cette époque.
IV.5. 1964 – Golfe du Tonkin : un événement réel transformé en prétexte
Le 2 août 1964, le destroyer USS Maddox échange des tirs avec des torpilleurs nord-vietnamiens. Deux jours plus tard, un deuxième incident est signalé – mais cette fois, aucune preuve ne vient le confirmer. Des archives publiées par la NSA dans les années 2000 montrent que la deuxième attaque n’a jamais eu lieu, mais que les signaux radar et sonar ont été mal interprétés, et les rapports falsifiés ou déformés.
Malgré cela, le président Lyndon B. Johnson obtient du Congrès une résolution lui donnant carte blanche pour élargir l’engagement américain au Vietnam. L’administration américaine savait que l’incident du 4 août était douteux, mais l’utilisa comme fondement légal d’une guerre. Ce n’est pas une opération de false flag fabriquée, mais une instrumentalisation délibérée d’un événement douteux, ce que certains chercheurs appellent un false flag narratif ou prétexte falsifié.
IV.6. Italie : la stratégie de la tension (1969–1980)
L’un des exemples les plus documentés de false flag interne à visée politique concerne l’Italie. Durant les années de plomb, plusieurs attentats sont initialement imputés à des groupes d’extrême gauche (anarchistes, Brigades rouges), mais s’avèrent avoir été commis par des groupes néofascistes avec la complicité de secteurs des services secrets, dans une logique de stratégie de la tension.
Le 12 décembre 1969, la bombe de la Piazza Fontana tue 17 personnes à Milan. L’anarchiste Pietro Valpreda est accusé à tort. L’enquête aboutit des années plus tard à la reconnaissance du rôle des néofascistes Franco Freda et Giovanni Ventura.
En 1972, l’attentat de Peteano tue trois carabiniers. Là encore, la piste d’extrême gauche est activée, mais le néofasciste Vincenzo Vinciguerra avoue l’attentat en 1984, dénonçant une opération menée avec l’aide d’officiers des services secrets italiens.
En 1980, l’attentat de la gare de Bologne (85 morts) est d’abord attribué à l’extrême gauche, avant que l’enquête ne désigne le groupe néofasciste NAR (Noyaux Armés Révolutionnaires).
Les juges Felice Casson et Carlo Mastelloni mettront au jour l’existence de Gladio, réseau armé clandestin lié à l’OTAN, conçu à l’origine comme force de résistance en cas d’invasion soviétique, mais impliqué dans la couverture de ces opérations. Le général Gianadelio Maletti, chef du contre-espionnage italien, témoignera que ces attentats avaient reçu une forme de tolérance ou d’encouragement indirect par les services occidentaux, pour empêcher le Parti communiste italien d’accéder au pouvoir par les urnes.
Ce cas est un exemple rare de false flag interne structuré, conçu pour manipuler l’opinion, semer la peur, et orienter les choix électoraux dans une démocratie.
IV.7. 1970–1973 – Chili : sabotage et mise en scène avant le coup d’État
Après l’élection du président Salvador Allende, les États-Unis activent le plan FUBELT (Opération Condor), coordonné par la CIA. Au-delà des actions économiques, des attentats sont organisés ou financés via des groupes d’extrême droite chiliens comme Patria y Libertad.
Des documents déclassifiés montrent que des attentats à la bombe dans les universités et les gares sont faussement attribués à des extrémistes de gauche, pour dresser la population contre le gouvernement. Ces opérations incluent la falsification de tracts, la pose de slogans révolutionnaires, et des attaques ciblant des infrastructures sans valeur stratégique.
Ces actions, combinées à la propagande médiatique, visent à créer un climat de chaos artificiel, rendant inévitable le coup d’État militaire de 1973. C’est un usage typique du false flag à visée de renversement politique.
IV.8. Afrique du Sud (années 1980) – dissimulation et violences sous fausse identité
Dans les dernières années de l’apartheid, le gouvernement sud-africain mène des campagnes de désinformation et de violence pour discréditer l’ANC (African National Congress). Des attentats dans des centres commerciaux et des restaurants – attribués à l’ANC – sont en réalité commis par des unités clandestines de la police ou de l’armée.
La Commission Vérité et Réconciliation, présidée par Desmond Tutu après la fin de l’apartheid, a révélé des dizaines de cas d’opérations menées sous fausse bannière. Des officiers, comme Paul Erasmus, ont avoué avoir posé des bombes dans des lieux publics tout en accusant les mouvements noirs. Ces témoignages sont corroborés par des documents internes retrouvés après 1994.
Ce false flag intérieur, utilisé pour justifier la répression, créer la division et empêcher la transition politique, illustre l’extrême cynisme des régimes autoritaires à l’agonie.
V. Depuis 1990 : persistance et soupçons contemporains
La fin de la guerre froide ne met pas un terme à l’usage du false flag. Au contraire, dans un monde multipolaire marqué par la prolifération des conflits asymétriques, des guérillas, du terrorisme transnational et de la guerre informationnelle, le recours à des opérations clandestines sous fausse bannière se réinvente. Parallèlement, la notion de false flag devient elle-même un outil de propagande : des acteurs étatiques l’utilisent désormais comme contre-accusation systématique. Toute attaque devient suspecte, et l’allégation de false flag devient une stratégie de dénégation ou de disqualification.
V.1. 1981–1983 – Liban : voitures piégées du Front pour la Libération du Liban des Étrangers (FLLF)
Entre 1981 et 1983, une vague d’attentats à la voiture piégée frappe Beyrouth, notamment des quartiers civils et des bâtiments liés à l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). Les attaques sont revendiquées par un mystérieux Front pour la Libération du Liban des Étrangers (FLLF), inconnu jusque-là.
Des décennies plus tard, des anciens officiers israéliens et des journalistes d’investigation comme Ronen Bergman, ainsi que des études du chercheur Remi Brulin, établissent que le FLLF était en réalité une façade montée par des services israéliens, notamment sous l’impulsion de Meir Dagan et Ariel Sharon. Ces attaques visaient à susciter des représailles palestiniennes, à créer un climat de chaos, et à justifier une invasion de grande ampleur (celle de juin 1982).
Les attentats ont fait des centaines de morts civils. Le général israélien Amos Yaron reconnaîtra ultérieurement que des "opérations noires" ont été menées pour provoquer une réaction "utile militairement", sans toutefois assumer explicitement le rôle de l’État israélien dans la création du FLLF. Ce cas reste l’un des rares exemples de false flag terroriste régional visant à déclencher une guerre conventionnelle.
V.2. 1999 – Russie : attentats d’immeubles et l’affaire de Riazan
En septembre 1999, plusieurs explosions détruisent des immeubles résidentiels à Moscou, Bouïnaksk et Volgodonsk, causant plus de 300 morts. Les autorités russes accusent immédiatement des groupes tchétchènes, et le Premier ministre Vladimir Poutine lance la deuxième guerre de Tchétchénie, avec un soutien populaire massif.
Mais le 22 septembre, à Riazan, un habitant découvre une voiture suspecte. La police arrête trois hommes posant des explosifs dans un sous-sol. Ils s’avèrent être des agents du FSB (ex-KGB). Le lendemain, les services annoncent que c’était un « exercice de vigilance », et que les sacs contenaient du sucre – malgré des analyses initiales ayant détecté de l’hexogène, explosif militaire.
Des journalistes russes comme Anna Politkovskaïa, l’ancien agent Alexandre Litvinenko, ainsi que David Satter, chercheur à l’American Enterprise Institute, soutiennent que cet « exercice » était en fait un attentat avorté, et que les attaques précédentes pourraient avoir été orchestrées par le FSB lui-même pour créer un choc émotionnel national. L’hypothèse est renforcée par le blocage des enquêtes parlementaires, l’assassinat de plusieurs députés et journalistes impliqués, et l’absence de transparence judiciaire.
Bien qu’aucune preuve judiciaire définitive n’ait été admise, plusieurs documents et témoignages, y compris d’anciens officiers russes en exil, soutiennent la thèse d’un false flag interne destiné à justifier une guerre et à propulser un dirigeant au pouvoir.
V.3. 2011–2018 – Syrie : guerre civile et batailles narratives sur les attaques chimiques
La guerre civile syrienne a été marquée par une guerre d’information permanente. À plusieurs reprises, des attaques chimiques ont visé des civils – à Ghouta (2013), Khan Cheikhoun (2017) ou Douma (2018). Ces événements ont suscité des accusations croisées de false flag, chaque camp accusant l’autre de monter des attaques pour provoquer une intervention internationale.
L’attaque de la Ghouta, en août 2013, fait plus de 1400 morts par gaz sarin. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni pointent immédiatement le régime de Bachar el-Assad. Damas et Moscou affirment qu’il s’agit d’un false flag monté par les rebelles. Mais les enquêtes indépendantes de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) concluent que la zone de tir, la logistique et la nature des gaz utilisés indiquent une responsabilité gouvernementale.
Dans d’autres cas (Douma en 2018), des controverses internes à l’OIAC ont émergé, certains inspecteurs suggérant que des doutes subsistaient sur le scénario officiel. Néanmoins, aucune preuve concrète n’est venue accréditer la thèse d’un false flag rebelle organisé à grande échelle. Ces événements illustrent surtout comment le concept de false flag est mobilisé préventivement pour disqualifier un rapport d’enquête ou empêcher des sanctions.
V.4. 2022 – Sabotage des gazoducs Nord Stream : accusations croisées et opacité
Le 26 septembre 2022, une série d’explosions sous-marines détruit les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique, infrastructures reliant la Russie à l’Allemagne. Les dégâts sont considérables. Rapidement, plusieurs pistes émergent, mais sans consensus : certains gouvernements occidentaux suggèrent une implication russe, alors que Moscou accuse l’OTAN, en particulier les États-Unis.
Le journaliste Seymour Hersh publie en février 2023 un article affirmant que des plongeurs américains, avec l’aide de la Norvège, auraient saboté les pipelines. D’autres enquêtes journalistiques européennes évoquent un commando ukrainien ou des acteurs privés proches de Kiev. Aucune preuve définitive n’a encore permis d’attribuer l’action.
Dans ce cas, le terme false flag est utilisé de manière spéculative par toutes les parties. Le Kremlin affirme que l’attaque a été organisée par l’Ouest pour faire accuser la Russie, tandis que certains analystes occidentaux estiment que Moscou pourrait avoir saboté ses propres infrastructures pour faire pression énergétique. L’affaire reste non élucidée, mais montre que dans la guerre contemporaine, l’accusation de false flag est un levier rhétorique immédiat, avant même que les faits soient établis.
Conclusion
L’histoire des false flags, telle qu’elle ressort de l’analyse des cas avérés à travers les siècles, montre une réalité à la fois limitée dans son nombre et considérable dans ses effets. Ces opérations clandestines, orchestrées par des États, des services secrets ou des groupes politico-militaires, visent toujours un même objectif : manipuler la perception d’un public en dissimulant l’identité du véritable auteur d’un acte violent. Il s’agit de provoquer une guerre, justifier une répression, discréditer un mouvement ou créer un ennemi.
Des exemples avérés et largement documentés ont ponctué l’histoire contemporaine : le sabotage simulé par l’armée japonaise en Mandchourie (1931), les provocations frontalières du Troisième Reich avant l’invasion de la Pologne (1939), les attentats imputés faussement aux communistes en Iran (1953) ou en Égypte (1954), la stratégie de la tension en Italie (1969–1980), ou encore les campagnes noires en Afrique du Sud, au Liban ou en Russie. Dans tous ces cas, les preuves d’archives, les aveux d’acteurs directs, ou les conclusions judiciaires établissent sans ambiguïté la nature fabriquée et délibérément mensongère de l’action. Ces false flags ne sont pas des hypothèses, mais des faits démontrés, qui ont, à chaque fois, contribué à modifier le cours des événements nationaux ou internationaux.
Cependant, ces cas, bien qu’authentiques, ont aussi engendré un effet secondaire durable : ils ont légitimé une culture du soupçon permanent, où tout événement spectaculaire, tout attentat ou toute déclaration de guerre est potentiellement suspecté d’avoir été fabriqué. Le seul fait qu’un false flag soit possible devient, pour certains, une preuve qu’il a eu lieu. Cette dérive – du fait documenté au soupçon systématique – a été exacerbée au XXIsiècle par les réseaux sociaux, la prolifération de récits parallèles, et la crise de confiance dans les institutions.
Il est donc fondamental de maintenir une distinction nette entre les false flags établis, appuyés par des éléments objectifs et confirmés dans le temps, et les interprétations spéculatives, souvent construites sans preuve, qui peuvent devenir des outils de désinformation à leur tour. La vigilance critique ne doit pas basculer dans le conspirationnisme généralisé. L’existence passée de ces opérations justifie d’interroger les récits dominants, non de les rejeter tous d’emblée.
Par ailleurs, l’évolution contemporaine du false flag est notable : aujourd’hui, on observe moins de grandes opérations secrètes à la logistique lourde (plus difficiles à dissimuler), et davantage de manipulations narratives. L’accusation de false flag est devenue elle-même un instrument rhétorique pour semer le doute, inverser les responsabilités, ou désamorcer des critiques. Dans les conflits récents, comme en Syrie, en Ukraine ou autour des sabotages d’infrastructures, les acteurs rivalisent d’accusations croisées avant même que les enquêtes n’aient débuté.
Cette instrumentalisation du concept pose un défi majeur à la vérité des faits. Elle nécessite le renforcement d’une culture de vérification, fondée sur l’analyse documentaire, la comparaison des sources, et l’usage croissant de l’OSINT (renseignement en sources ouvertes). Elle appelle aussi à protéger les enquêtes indépendantes – qu’elles soient journalistiques, universitaires ou judiciaires – des pressions politiques et idéologiques.
En définitive, le false flag n’est pas un fantasme, ni un fantasme à généraliser. C’est une tactique réelle, attestée, historiquement marquée, dont la connaissance rigoureuse est un rempart contre la manipulation, autant que contre la crédulité. En nous appuyant sur l’histoire, nous pouvons armer notre jugement sans céder ni à la naïveté, ni au soupçon infini. Car comprendre les false flags d’hier, c’est mieux résister aux illusions d’aujourd’hui.
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