Inégalités salariales Hommes / Femmes : De quoi parlons-nous ?

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Depuis plus de cinquante ans, la loi française affirme un principe simple et incontestable : « À travail égal, salaire égal ». Ce principe, inscrit dans le Code du travail depuis 1972, est aujourd’hui largement accepté sur le plan juridique, politique et social. Pourtant, dans la pratique, des écarts de rémunération persistent entre les femmes et les hommes. Ces écarts sont régulièrement mis en avant dans le débat public, les médias ou les campagnes de sensibilisation. Le chiffre de 22 % d’écart salarial est notamment l’un des plus fréquemment cités pour illustrer l’ampleur des inégalités entre les sexes. Il est même devenu un marqueur symbolique : selon certaines associations, cela signifierait que « les femmes travaillent gratuitement à partir du mois de novembre ».

Mais que mesure réellement cet écart de 22 % ? Est-il exact de dire que les femmes sont payées un quart de moins que les hommes « pour le même travail » ? La réponse, bien que moins spectaculaire, est plus nuancée. Le chiffre de 22 % correspond à l’écart de revenu annuel moyen entre les hommes et les femmes dans le secteur privé, selon les données les plus récentes publiées par l’Insee. Il inclut toutes les différences de situation professionnelle : temps plein ou temps partiel, interruptions de carrière, métiers exercés, ancienneté, primes, etc. Il ne s’agit donc pas d’un écart à poste égal, mais d’un différentiel agrégé qui reflète des réalités complexes.

Lorsqu’on neutralise la durée du travail en ne considérant que les salariés à temps plein ou en équivalent temps plein, l’écart de salaire moyen tombe à 14,2 %. Et si l’on compare enfin des hommes et des femmes occupant le même poste, dans la même entreprise, à âge, niveau de diplôme et volume de travail équivalents, l’écart résiduel n’est plus que de 3,8 %, toujours selon l’Insee. Ce dernier chiffre, bien que minoritaire dans le débat public, est pourtant le seul pertinent pour aborder la question de l’égalité salariale « à travail égal ».

Le recours fréquent aux chiffres de 15 % ou 22 % pour dénoncer une inégalité de rémunération à poste identique est donc méthodologiquement incorrect, même si l’intention est souvent pédagogique ou militante. Ce glissement, courant dans l’espace médiatique, contribue à brouiller la compréhension du phénomène : il laisse croire que la discrimination salariale est massive et explicite, alors qu’une grande partie des écarts s’explique par des facteurs structurels — tels que la répartition des métiers, le recours plus fréquent au temps partiel, ou les impacts différenciés de la parentalité sur les carrières.

Dans cet article, nous proposons une lecture rigoureuse, documentée et neutre de la réalité salariale entre les sexes en France aujourd’hui. Nous analyserons les différents types d’écarts de rémunération, ce qu’ils mesurent réellement, et comment ils doivent — ou ne doivent pas — être interprétés. Nous montrerons en quoi le chiffre de 3,8 % est crucial pour comprendre les inégalités qui demeurent à poste égale : il représente ce qui reste lorsque l’on a neutralisé tous les facteurs mesurables, ce que certains appellent le « noyau dur » de l’inégalité.

Nous reviendrons également sur les usages publics de ces chiffres, sur la manière dont ils sont utilisés dans des campagnes de communication ou dans les discours politiques, parfois de façon efficace, parfois de manière approximative. Enfin, nous proposerons une lecture alternative et complémentaire à la date symbolique du 6 novembre (fondée sur l’écart de 15 %) en suggérant une nouvelle date : le 15 décembre, qui correspondrait à l’écart réel de salaire à poste égal. Ce symbole permettrait de recentrer le débat sur ce qu’est réellement l’inégalité salariale aujourd’hui : non pas une injustice généralisée dans chaque fiche de paie, mais une différence persistante, plus discrète, mais bien réelle, là où l’égalité devrait être assurée.

I. Trois chiffres, trois réalités différentes

Quand on parle d’« écart de salaire entre les femmes et les hommes », il est essentiel de savoir de quel écart on parle. Car il n’existe pas un chiffre unique, mais plusieurs indicateurs, qui mesurent des choses très différentes. L’écart de 22 %, souvent cité, ne dit pas la même chose que celui de 15 %, ni que celui de 3,8 %. Ces chiffres ne sont ni équivalents, ni interchangeables. Chacun repose sur une méthode de calcul spécifique, qui implique des hypothèses, des exclusions et des périmètres d’analyse particuliers.

I.1. L’écart de 22 % : le revenu salarial annuel brut moyen

Il s’agit de l’indicateur le plus large, et aussi le plus souvent relayé dans les médias. Selon les chiffres publiés par l’Insee pour l’année 2021 (dernière base complète à jour en 2024), les femmes salariées du secteur privé ont perçu en moyenne 22,2 % de moins de revenu salarial net annuel que les hommes. Cela signifie qu’en moyenne, une femme a gagné 21 340 euros nets, contre 27 430 euros nets pour un homme.

Cet écart mesure ce que chaque personne touche réellement sur l’année entière. Il inclut tout : les périodes travaillées ou non, les temps pleins et partiels, les interruptions de carrière, les congés maternité ou parentaux, les primes, les absences, etc. Autrement dit, il reflète les inégalités cumulées dans les volumes de travail, les types de contrats, les interruptions professionnelles et les fonctions occupées.

Ce chiffre de 22 % n’est donc pas un écart “à poste égal”, ni même “à temps égal”. Il montre qu’en moyenne, les femmes perçoivent moins d’argent en fin d’année — ce qui est incontestable. Mais il ne permet pas de conclure à une inégalité de traitement sur un poste identique. Il capture la réalité globale du marché du travail, sans distinction ni correction.

I.2. L’écart de 15 % : le salaire horaire moyen à temps plein

Un deuxième indicateur est souvent utilisé dans les comparaisons européennes : il s’agit de l’écart de salaire horaire brut moyen en équivalent temps plein. Eurostat estime qu’en France, en 2021, cet écart s’élevait à 15,4 % en faveur des hommes. L’Insee, de son côté, estime cet écart autour de 14,2 % pour la même période, selon une méthode proche.

Contrairement au chiffre précédent, cet indicateur neutralise la durée du travail : il suppose que tout le monde a travaillé à temps plein toute l’année. Cela permet de comparer le salaire horaire brut moyen des hommes et des femmes. Il élimine donc l’effet du temps partiel, très répandu chez les femmes, mais il ne tient pas compte du poste occupé, du secteur, de la responsabilité, de l’ancienneté ni de l’entreprise.

L’écart de 15 % ne mesure donc pas une inégalité à travail égal. Il indique que, parmi les personnes à temps plein, les femmes perçoivent en moyenne un salaire horaire inférieur à celui des hommes — ce qui reflète des différences de métier, de position hiérarchique ou de secteur d’activité. C’est un indicateur utile pour observer l’inégalité globale entre les sexes, mais il reste trop large pour évaluer l’existence d’une discrimination salariale pure.

I.3. L’écart de 3,8 % : à poste, entreprise et profil comparables

C’est le chiffre le plus précis, le plus rigoureux, et pourtant le moins médiatisé. D’après l’Insee, lorsque l’on compare des hommes et des femmes dans la même entreprise, sur le même poste, avec le même âge, le même niveau de diplôme et à temps plein, l’écart moyen de salaire net est de 3,8 % en faveur des hommes.

Autrement dit, après avoir neutralisé les effets de structure (temps partiel, métier, secteur, niveau de responsabilité, etc.), il reste un écart salarial résiduel que les variables connues ne permettent pas d’expliquer. Cet écart est statistiquement modeste, mais structurellement important : c’est lui qui soulève la question de la discrimination salariale directe ou indirecte. Il ne s’agit plus ici d’un écart entre une infirmière et un ingénieur, ni entre un cadre supérieur et une caissière, mais entre deux personnes aux caractéristiques semblables, sur un même emploi.

Ce chiffre de 3,8 % est donc le seul qui permet de poser la question suivante de manière pertinente : “Est-ce que, dans une même entreprise, une femme est moins bien payée qu’un homme pour le même travail ?”. C’est cette mesure qui est visée par la loi sur l’égalité salariale.

II. Pourquoi il est inexact de dire que les femmes sont payées 22 % de moins pour le même travail

L’une des affirmations les plus fréquemment entendues dans les débats publics sur l’égalité salariale est la suivante : « Les femmes sont payées environ 20 % de moins que les hommes pour le même travail ». Cette phrase est régulièrement relayée par des tribunes, des campagnes de sensibilisation, voire par des représentants politiques, et s’appuie le plus souvent sur l’écart de 22 % de revenu salarial annuel moyen, ou sur l’écart de 15 % en salaire horaire à temps plein.

Or, même si l’intention est souvent louable – attirer l’attention sur une inégalité persistante – cette affirmation est factuellement inexacte. Elle repose sur un glissement de sens, fréquent dans l’espace public, entre un écart de moyenne globale et une inégalité de traitement à situation égale. Ce glissement crée de la confusion, voire de la méfiance, et nuit à la compréhension fine des mécanismes réels.

II.1. Le chiffre de 22 % n’est pas un écart “à travail égal”

Le revenu annuel moyen brut ou net ne tient compte ni du métier, ni du secteur, ni du volume de travail, ni du niveau de responsabilité. Il mesure simplement la somme totale gagnée par les femmes comparée à celle gagnée par les hommes sur l’ensemble d’une année. Or, on sait que les femmes occupent plus souvent des postes à temps partiel, dans des secteurs moins rémunérateurs, et connaissent plus fréquemment des interruptions de carrière (liées à la maternité, par exemple).

Dire que « les femmes sont payées 22 % de moins pour le même travail » en s’appuyant sur cet indicateur revient à confondre l’inégalité de revenus avec l’inégalité de traitement salarial. C’est une erreur d’interprétation statistique. En réalité, cet écart de 22 % ne permet pas de conclure à une inégalité salariale à poste égal.

II.2. L’écart de 15 % non plus ne reflète pas une inégalité de traitement à l’identique

L’écart de 15 % (en équivalent temps plein, selon Eurostat ou l’Insee) élimine l’effet du temps partiel, mais conserve les autres différences structurelles : métiers exercés, niveaux hiérarchiques, secteurs, primes, ancienneté, etc. Il s’agit d’une moyenne toutes fonctions confondues, qui reflète en grande partie la répartition genrée du travail. Par exemple, les femmes sont surreprésentées dans les métiers du soin, de l’éducation ou du commerce, souvent moins bien rémunérés que les secteurs techniques ou industriels, davantage masculins.

Cet écart, bien qu’il montre une inégalité persistante dans l’organisation du travail, ne permet pas d’affirmer qu’un homme et une femme occupant la même fonction sont rémunérés différemment. Il montre qu’en moyenne, les femmes perçoivent un salaire horaire inférieur à celui des hommes, mais pas qu’elles sont moins payées pour le même travail.

II.3. Seul le chiffre de 3,8 % permet de parler de travail égal, entreprise égale, qualification égale

L’indicateur de 3,8 %, publié par l’Insee, repose sur une comparaison entre des salariés dans une même entreprise, à un même poste, avec des caractéristiques comparables (âge, diplôme, volume de travail, etc.). Ce chiffre est ce qu’il reste une fois éliminées toutes les différences mesurables. C’est le seul chiffre qui permet, méthodologiquement, de poser la question d’une inégalité de rémunération « à travail égal, compétences égales ».

Dans cette configuration, l’Insee rappelle que l’écart peut encore être influencé par des variables non observées (comme l’ancienneté précise, la performance individuelle, les négociations salariales ou les primes non standardisées). Cela signifie que les 3,8 % ne sont pas intégralement attribuables à de la discrimination directe. Mais ils représentent le noyau dur d’écart injustifié qu’aucune variable connue ne suffit à expliquer. C’est là, et uniquement là, que l’on peut légitimement s’interroger sur un traitement différencié à profil égal.

II.4. Une erreur de méthode aux conséquences réelles

Le fait de mobiliser un chiffre agrégé pour démontrer une inégalité à travail égal est un raisonnement fallacieux – en logique statistique, on parle d’erreur écologique : on attribue à un individu ce qui est vrai en moyenne dans un groupe. En d’autres termes, que les femmes gagnent 22 % de moins en moyenne ne signifie pas qu’une femme gagne 22 % de moins que son collègue homme pour le même poste. Et pourtant, c’est bien cette idée que retient souvent le public.

Cette imprécision peut avoir plusieurs conséquences :

  • Perte de crédibilité du discours féministe ou institutionnel lorsque la confusion est relevée ;

  • Réduction du débat à des postures idéologiques, plutôt qu’à des faits mesurés ;

  • Risque de décrédibilisation globale d’un sujet pourtant documenté et sérieux.

Cela ne signifie pas que les inégalités n’existent pas. Au contraire. Mais elles doivent être nommées avec rigueur, pour éviter qu’elles soient contestées sur la base de généralisations hâtives ou mal fondées.


III. Que signifie réellement l’écart de 3,8 % ?

Lorsque l’on parle de l’écart salarial entre femmes et hommes à poste égal, le chiffre de 3,8 % publié par l’Insee est celui qui revient avec le plus de précision méthodologique. Cet écart représente la différence moyenne de rémunération nette entre les femmes et les hommes occupant le même poste, dans la même entreprise, à caractéristiques comparables : âge, diplôme, durée du travail, etc. Contrairement aux écarts de 15 % ou 22 %, celui-ci ne reflète pas des différences de métier, de secteur ou de volume d’emploi, mais bien un écart résiduel entre deux personnes théoriquement identiques dans leur environnement professionnel immédiat.

Ce chiffre ne résulte donc pas d’une inégalité structurelle ou d’un biais de distribution des professions dans l’économie : il met en lumière un écart inexpliqué, là où l’égalité devrait déjà être réalisée. C’est en ce sens qu’il constitue une référence plus rigoureuse et plus crédible pour évaluer l’inégalité salariale « à travail égal ».

III.1. Une comparaison rigoureusement contrôlée

La méthodologie employée par l’Insee consiste à comparer des salariés hommes et femmes au sein de la même unité légale (ou établissement), dans le même type d’emploi, en neutralisant statistiquement les variables suivantes :

  • L’âge

  • Le niveau de diplôme

  • Le statut professionnel (cadre, employé, ouvrier, etc.)

  • Le temps de travail (temps plein uniquement ou équivalent temps plein)

  • La nature du contrat (CDI, CDD, etc.)

  • Le secteur d’activité et la taille de l’entreprise

Ces variables permettent d’éliminer la majorité des différences qui peuvent naturellement influencer la rémunération. Ce qu’il reste – les fameux 3,8 % – ne s’explique ni par le poste, ni par le volume de travail, ni par la qualification. Autrement dit, dans des conditions identiques mesurables, les femmes perçoivent en moyenne 96,2 € quand un homme perçoit 100 €.

Ce chiffre est d’autant plus significatif qu’il est stable dans le temps : depuis plusieurs années, malgré les mesures législatives et les évolutions sociales, l’écart résiduel peine à disparaître.

III.2. Ce que ce chiffre mesure (et ne mesure pas)

Il est important de bien comprendre ce que ces 3,8 % incluent — et ce qu’ils n’incluent pas. Contrairement à certaines idées reçues, cet écart n’est pas automatiquement assimilable à une discrimination volontaire. Il existe encore des facteurs non observables ou difficilement quantifiables que les modèles statistiques ne peuvent pas toujours capturer.

Parmi ces facteurs potentiels :

  • L’ancienneté exacte dans l’entreprise ou sur le poste
    Deux salariés au même poste peuvent avoir des durées de présence différentes, influençant la rémunération via des primes d’ancienneté.

  • Les compétences informelles ou les performances individuelles
    Certaines fonctions reposent sur des critères de productivité, d’autonomie ou d’efficacité difficilement standardisables.

  • La capacité à négocier son salaire ou ses évolutions de carrière
    Plusieurs études, notamment de l’Apec, montrent que les femmes demandent des augmentations ou promotions moins fréquemment, ou avec moins de succès, ce qui peut engendrer un décalage progressif même à poste égal.

  • La flexibilité horaire ou géographique
    Certains bonus ou évolutions sont liés à la capacité à voyager, à travailler tard ou le week-end, à être disponible à court terme. Ces critères, souvent implicites, peuvent désavantager les salariées ayant davantage de contraintes familiales.

En d’autres termes, une partie de l’écart de 3,8 % peut être due à des éléments réels mais invisibles statistiquement. Toutefois, l’Insee souligne que même après avoir contrôlé les principales variables disponibles, il reste un écart constant entre les sexes. Cet écart, même partiellement explicable, constitue une faille dans l’idéal d’égalité salariale.

III.3. Une inégalité qui interroge

Du point de vue juridique, l’égalité salariale est un principe fondamental. Un écart de 3,8 % à poste égal, entreprise égale, qualification égale, pose donc une question de droit : pourquoi une telle différence subsiste-t-elle encore aujourd’hui, malgré les obligations légales et les dispositifs de contrôle (notamment l’Index de l’égalité professionnelle) ?

Il ne s’agit pas ici de dénoncer un complot, ni de conclure à une intention discriminatoire systématique. Mais le fait même qu’un écart récurrent, stable et inexpliqué subsiste à profil identique invite à s’interroger. Car même s’il n’est pas le fruit d’une volonté délibérée, il constitue une inégalité de fait.

Et cette inégalité a des conséquences concrètes : sur une carrière de 40 ans, un différentiel de 3,8 % représente environ un an et demi de salaire en moins. Pour les cadres ou les hauts revenus, cela peut représenter plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce n’est donc ni symbolique, ni négligeable.

III.4. Une variable clé

Enfin, il est frappant de constater que ce chiffre de 3,8 % – pourtant central si l’on veut parler d’égalité salariale stricto sensu – est largement ignoré dans la communication publique. On lui préfère souvent les chiffres de 15 % ou 22 %, plus “parlants” ou plus “mobilisateurs”. Mais ce choix crée un décalage entre les perceptions et la réalité statistique.

L’écart de 3,8 % ne doit pas être vu comme une simple anomalie résiduelle. Il est, au contraire, l’indicateur le plus rigoureux pour interroger le respect effectif du principe d’égalité salariale dans les entreprises françaises. C’est sur lui que devrait porter l’attention si l’on veut s’attaquer à l’inégalité salariale là où elle n’a plus d’excuse apparente.

IV. Pourquoi les écarts globaux persistent ? Analyse structurelle

Même si l’écart salarial “à poste égal” se limite à environ 3,8 %, les écarts de rémunération toutes choses inégales par ailleurs (14 à 22 %) demeurent élevés. Ces écarts ne relèvent pas directement d’une inégalité de traitement pour un même travail, mais ils traduisent des inégalités de situations professionnelles, enracinées dans des facteurs économiques, sociaux et culturels. En d’autres termes, les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois, aux mêmes rythmes, avec les mêmes conditions, ce qui explique une large part des écarts globaux de salaire.

IV.1. Le temps partiel, premier facteur différenciant

En France, près de 28 % des femmes salariées travaillent à temps partiel, contre environ 8 % des hommes, selon les données de la Dares. Ce seul facteur suffit à expliquer une part importante de l’écart de revenu annuel.

Ce temps partiel n’est pas toujours choisi : de nombreuses femmes déclarent qu’il est subi (absence de poste à temps plein dans leur secteur) ou construit autour de contraintes familiales. En effet, la charge de l’éducation des enfants ou des proches dépendants repose encore majoritairement sur les femmes.

Un salarié à temps partiel touche logiquement un revenu annuel inférieur, même si son salaire horaire est identique. C’est pourquoi l’écart de 22 % sur les revenus annuels (non corrigé) est structurellement biaisé par cette différence de volume de travail.

IV.2. Une répartition genrée des métiers : la ségrégation horizontale

Les femmes et les hommes ne se répartissent pas uniformément dans les secteurs d’activité ni dans les professions. C’est ce qu’on appelle la ségrégation professionnelle horizontale. En clair, les métiers féminisés sont souvent moins bien rémunérés que les métiers à dominante masculine.

Par exemple, les femmes sont très présentes dans :

  • Les secteurs du soin (infirmières, aides-soignantes),

  • L’éducation (professeures des écoles),

  • L’assistance (secrétaires, aides à domicile),

  • Le commerce (employées de caisse, vendeuses).

Ces métiers, bien que socialement essentiels, offrent des salaires moyens plus faibles que ceux d'autres secteurs dominés par les hommes, comme :

  • L’industrie,

  • Le bâtiment,

  • Le numérique,

  • Les fonctions techniques et d’ingénierie.

Ainsi, même à volume de travail égal, l’écart de rémunération globale est fortement influencé par le type de métier exercé, qui reste genré. Ce n’est pas le sexe qui détermine directement la paie, mais le fait que les femmes soient plus nombreuses dans les secteurs et fonctions les moins rémunérateurs.

IV.3. Le plafond de verre : moins de femmes aux postes les mieux rémunérés

On parle de plafond de verre pour désigner les obstacles invisibles qui limitent l’accès des femmes aux fonctions de direction, de pouvoir ou de haut niveau de responsabilité. Même à niveau de qualification égal, les femmes sont moins nombreuses parmi les cadres dirigeants, les hauts salaires ou les comités exécutifs.

Par exemple :

  • Les femmes représentent environ 38 % des cadres, mais seulement 24 % des cadres dirigeants.

  • Parmi les 1 % des salariés les mieux rémunérés, moins d’un quart sont des femmes (données Insee).

  • Dans les entreprises de plus de 50 000 salariés, l’écart de salaire moyen entre femmes et hommes dépasse 17 %, bien plus élevé que dans les petites entreprises.

Ce déséquilibre s’explique par une combinaison de facteurs :

  • Moindre promotion interne,

  • Moins de réseaux ou de mentorat,

  • Disponibilité attendue incompatible avec des charges familiales,

  • Perceptions biaisées sur le leadership féminin.

Résultat : les femmes sont sous-représentées là où les rémunérations sont les plus élevées, ce qui tire vers le bas la moyenne globale de leur salaire.

IV.4. Le rôle déterminant de la maternité et des trajectoires de carrière

Les écarts salariaux entre hommes et femmes s’élargissent avec l’âge. Jusqu’à 25 ans, les écarts sont faibles. C’est à partir de la trentaine, avec l’arrivée des enfants, que les courbes divergent.

On observe en particulier :

  • Des interruptions de carrière (congé maternité, parental),

  • Des refus ou reports de promotion pour raisons familiales,

  • Des choix d’horaires réduits ou d’emplois plus “compatibles” avec la vie de famille.

Dès le premier enfant, le revenu des femmes décroche durablement par rapport à celui des hommes. C’est ce qu’on appelle la pénalité maternelle. À l’inverse, les pères ne subissent pas — ou très peu — de perte de salaire liée à la parentalité. Au contraire, dans certaines études, les hommes deviennent même plus rémunérés après avoir eu un enfant, un phénomène parfois qualifié de prime à la paternité.

Ainsi, les choix familiaux ne sont pas neutres économiquement. Et même s’ils ne relèvent pas de discriminations explicites, ils ont des effets réels sur les parcours professionnels et les revenus à long terme.

IV.5. Une organisation du travail encore peu égalitaire

Enfin, au-delà des choix individuels, c’est l’organisation même du travail qui peut défavoriser les femmes. Par exemple :

  • Les horaires à rallonge valorisés dans certains milieux (consulting, finance, etc.),

  • Les critères de performance liés à la présence ou la disponibilité “hors cadre”,

  • Les réunions ou décisions prises en dehors du temps de travail formel,

  • Une culture managériale parfois peu propice à la flexibilité ou au télétravail.

Ces pratiques, rarement pensées pour exclure, ont un effet indirectement discriminant, car elles sont moins compatibles avec la vie des femmes dans leur ensemble, en raison de leur sur-représentation dans les tâches domestiques et parentales.

V. Comment les chiffres sont utilisés dans l’espace public

Dans l’espace médiatique, militant ou politique, les chiffres relatifs à l’écart de rémunération entre femmes et hommes sont devenus des objets symboliques. Ils ne servent pas seulement à décrire la réalité : ils sont aussi utilisés pour interpeller, convaincre, mobiliser. Or, si ces usages permettent parfois une prise de conscience salutaire, ils peuvent aussi entraîner des simplifications ou des interprétations inexactes, qui brouillent le débat public et éloignent de la compréhension fine du phénomène.

V.1. Le symbole du “jour où les femmes travaillent gratuitement”

L’exemple le plus marquant est celui de la campagne annuelle initiée par Les Glorieuses, un collectif féministe qui, depuis 2016, calcule chaque année la date à partir de laquelle les femmes seraient censées travailler gratuitement par rapport aux hommes, en raison de l’écart salarial.

Le principe est simple : si l’on considère qu’il existe un écart de salaire horaire moyen de 15 %, cela revient à dire que les femmes sont payées 15 % de moins pour la même année de travail. En appliquant ce pourcentage au nombre de jours ouvrés de l’année (environ 252), cela revient à retirer 39 jours. Résultat : à partir du 6 novembre, les femmes “travailleraient gratuitement” jusqu’à la fin de l’année.

Cette formule a rencontré un grand succès médiatique, car elle traduit un écart abstrait en un marqueur temporel concret, immédiatement compréhensible. Le message est clair, percutant, et facile à reprendre sur les réseaux sociaux, dans les journaux ou dans les entreprises.

Cependant, elle repose sur une simplification méthodologique : l’écart de 15 % utilisé pour ce calcul n’est pas un écart à travail égal. Il s’agit d’un écart moyen de salaire horaire brut en équivalent temps plein, toutes professions, postes, et niveaux de responsabilité confondus. Or, comme nous l’avons vu, les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois, ni les mêmes fonctions. Le chiffre de 15 % agrège donc des situations inégales, ce qui rend inexacte toute affirmation implicite selon laquelle les femmes seraient payées 15 % de moins pour le même travail.

En cela, si le symbole du 6 novembre est pédagogiquement efficace, il est méthodologiquement ambigu. Il attire l’attention sur une inégalité réelle, mais peut induire en erreur sur sa nature.

V.2. Une polarisation des discours selon les intérêts politiques

Le traitement des chiffres de l’écart salarial varie fortement selon les discours idéologiques ou partisans. Cela ne signifie pas que les positions sont malhonnêtes, mais que les mêmes chiffres sont souvent utilisés pour soutenir des messages contradictoires, selon ce qu’on choisit de montrer — ou de taire.

  • Du côté des mouvements progressistes ou féministes, on met volontiers en avant l’écart global de 15 % ou 22 %, pour souligner l’ampleur des inégalités. L’idée est de mobiliser autour d’un constat fort, et de revendiquer des mesures correctives ambitieuses (revalorisation des métiers féminisés, congé parental partagé, quotas, etc.). Le chiffre de 3,8 %, plus modeste, est peu visible dans ces discours car moins immédiatement mobilisateur.

  • Du côté des courants plus libéraux ou conservateurs, on insiste au contraire sur le fait que l’écart “réel” à poste égal n’est que de quelques pourcents. Cela permet de relativiser l’inégalité salariale, voire de la considérer comme résiduelle. L’argument est alors le suivant : « Il reste des différences, mais elles sont minimes et souvent explicables ; inutile de légiférer davantage ou d’imposer des quotas ».

Dans les deux cas, le chiffre choisi oriente le diagnostic et les solutions proposées. Il ne s’agit pas nécessairement de mauvaise foi : chaque position part d’un élément réel. Mais ce que l’on choisit de mettre en avant — le macro ou le micro, l’écart global ou l’écart résiduel — conditionne la manière dont l’opinion publique perçoit le problème.

V.3. Le risque d’une “pédagogie simplifiée” qui produit de la confusion

La volonté de vulgariser les chiffres pour le grand public est légitime. Les statistiques sont souvent complexes, et une campagne qui utilise des repères forts (comme une date symbolique ou un pourcentage choc) peut susciter un intérêt nécessaire. Mais cette pédagogie a ses limites.

Le principal danger est de confondre communication et démonstration. Si l’on affirme sans nuance que les femmes sont “payées 15 % de moins pour le même travail”, on associe un chiffre réel à une réalité erronée, ce qui peut fragiliser tout le discours :

  • Parce que certains lecteurs, mieux informés, pointeront l’erreur, et rejetteront tout le raisonnement ;

  • Parce que cela entretient une idée simpliste des causes de l’inégalité salariale, réduite à une discrimination frontale systématique, ce qu’elle n’est pas.

Ce risque est d’autant plus présent que les chiffres officiels eux-mêmes sont souvent mal interprétés. Par exemple, dans de nombreux articles de presse ou publications sur les réseaux sociaux, aucune distinction n’est faite entre les trois principaux niveaux d’écart (revenu annuel brut, salaire horaire EQTP, salaire net à poste égal).

Ce brouillage statistique dessert à terme la cause de l’égalité professionnelle, car il donne l’impression que les chiffres sont instrumentalisés, alors qu’ils devraient au contraire servir à objectiver le débat.

VI. Une proposition complémentaire : situer symboliquement le “vrai écart”

Chaque année, le chiffre de l’écart salarial global entre hommes et femmes donne lieu à une mobilisation médiatique marquée : le “jour où les femmes travaillent gratuitement”, situé début novembre, symbolise la part de l’année qu’elles « perdraient » en salaire par rapport aux hommes, en raison de l’écart moyen de rémunération. Cette initiative, popularisée par le collectif Les Glorieuses, repose sur l’écart de 15 % observé en salaire horaire moyen, en équivalent temps plein.

Nous avons vu que cet indicateur, bien qu’utile pour alerter sur les inégalités générales, n’est pas une mesure d’écart à travail égal, car il intègre encore des différences de métiers, de niveaux de responsabilité, ou de conditions de travail. Il pose donc une difficulté méthodologique : le message qu’il véhicule peut être interprété comme affirmant une discrimination généralisée, ce qui n’est pas ce que le chiffre signifie réellement.

C’est pourquoi nous proposons ici un repère alternatif et complémentaire, fondé sur l’écart résiduel réel, mesuré à poste égal. Un écart plus modeste — 3,8 % selon l’Insee — mais beaucoup plus précis sur le plan statistique, car il compare des hommes et des femmes dans la même entreprise, au même poste, avec un profil similaire.

VI.1. A partir de 3,8 % d’écart = 9 à 10 jours ouvrés

Si l’on transpose ce 3,8 % d’écart salarial à une année de travail, cela représente environ 9,6 jours ouvrés sur 252 jours ouvrés (base standard d’une année sans jour férié mobile). Autrement dit, les femmes, à poste égal, seraient “non rémunérées” par rapport à leurs homologues masculins pendant les 10 derniers jours de l’année.

En suivant cette logique, on obtient une date symbolique située autour du 15 décembre. À partir de ce jour-là, les femmes, dans des conditions d’emploi strictement comparables, cesseraient, virtuellement, d’être payées à la même hauteur que les hommes. Non pas à cause du temps partiel ou du choix de métier — mais dans les conditions où l’égalité salariale est censée être acquise.

VI.2. Pourquoi ce symbole est plus rigoureux

Cette nouvelle date symbolique présente plusieurs avantages méthodologiques et pédagogiques :

  • Elle correspond à un indicateur contrôlé : contrairement à l’écart brut de 15 %, les 3,8 % sont mesurés en neutralisant toutes les variables disponibles. C’est donc un écart inexpliqué dans une situation censée être équitable.

  • Elle recentre le débat sur la promesse non tenue de la loi : puisque la loi interdit toute inégalité de rémunération à travail égal depuis 1972, c’est ce type d’écart qui pose problème au regard du droit, pas les écarts dus au choix du métier ou à la durée du travail.

  • Elle évite le malentendu pédagogique : elle ne prétend pas que toutes les femmes sont discriminées en moyenne de 15 %, mais qu’il subsiste un différentiel injustifié même dans les conditions les plus comparables.

  • Elle complète, sans s’y opposer, la symbolique du 6 novembre : les deux dates peuvent coexister, pour montrer deux dimensions complémentaires de l’inégalité :
    → Le 6 novembre : l’inégalité de revenus cumulée dans le système professionnel ;
    → Le 15 décembre : l’inégalité résiduelle dans le traitement à travail égal.

Cette double lecture permettrait d’articuler rigueur et sensibilisation, sans confondre indicateurs et interprétations.

VI.3. Quel impact pour le débat public ?

Introduire une nouvelle date, centrée sur le 3,8 % réel, permettrait de réorienter la discussion vers l’enjeu fondamental : pourquoi, malgré un demi-siècle de législation, l’égalité salariale à poste égal n’est-elle toujours pas atteinte ?

Ce symbole ne cherche pas à concurrencer celui du 6 novembre, mais à le compléter en rendant visible l’inégalité résiduelle la plus problématique du point de vue du droit. Ce serait aussi une manière de répondre aux critiques — parfois légitimes — sur l’usage approximatif des statistiques dans les campagnes publiques. En établissant une date fondée sur un indicateur plus rigoureux, on renforcerait la crédibilité du discours sur l’égalité salariale.

Enfin, cette initiative pourrait servir de levier pédagogique dans les entreprises, dans les médias ou dans l’enseignement : elle permettrait d’expliquer comment sont mesurés les écarts de rémunération, pourquoi certains perdurent malgré les lois, et quelles marges d’action restent pour atteindre une égalité réelle.

Conclusion

En France, en 2025, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes reste un objectif inscrit dans la loi, mais encore éloigné de la réalité. Les données les plus récentes montrent que les femmes perçoivent en moyenne 22 % de moins de revenu annuel que les hommes dans le secteur privé. Corrigé du volume de travail, l’écart se réduit à 14-15 %, et lorsque l’on compare des situations strictement équivalentes – même poste, même entreprise, même profil – l’écart salarial tombe à 3,8 %, selon l’Insee.

Ces trois chiffres coexistent, mais ne désignent ni les mêmes réalités, ni les mêmes causes. L’écart brut de 22 % reflète l’ensemble des inégalités structurelles du marché du travail : temps partiel, interruptions de carrière, choix ou contraintes professionnelles. L’écart de 14-15 % correspond à une moyenne horaire à temps plein, mais intègre toujours des différences de métiers ou de niveaux hiérarchiques. Le chiffre de 3,8 % est, lui, le seul qui permet de parler d’un écart de traitement à travail égal – et c’est ce chiffre qui devrait être au cœur du débat sur l’égalité salariale réelle.

Pourtant, dans l’espace public, c’est souvent l’écart brut qui est mobilisé pour dénoncer une inégalité « pour un même travail ». Ce raccourci est méthodologiquement erroné, même si son intention est de sensibiliser. Il confond deux plans distincts : l’inégalité de revenus globaux et l’inégalité de rémunération à situation comparable. Cette confusion nuit à la rigueur du débat, brouille les responsabilités, et affaiblit les arguments — y compris quand ils reposent sur des faits solides.

Ce constat ne doit en aucun cas servir à nier l’existence des inégalités, bien au contraire. Il rappelle que la grande majorité des écarts salariaux entre les sexes s’expliquent par des mécanismes structurels : répartition genrée des métiers, plafond de verre, charge familiale inégalement répartie, normes organisationnelles pénalisantes pour les femmes. Ces facteurs ne relèvent pas d’une discrimination explicite, mais produisent des effets massifs et durables sur les revenus. C’est là que se joue, pour l’essentiel, l’inégalité.

Mais même après avoir neutralisé tous ces effets, il subsiste un écart injustifié de 3,8 %. Modeste en apparence, il est lourd de conséquences sur une carrière entière, et pose une question de droit : pourquoi, en 2025, une femme peut-elle encore gagner moins qu’un homme dans une même entreprise, pour un même travail, avec les mêmes qualifications ?

C’est cette interrogation que nous avons voulu remettre au centre, en proposant un nouveau repère symbolique : le 15 décembre, jour à partir duquel les femmes, à poste égal, cesseraient virtuellement d’être rémunérées. Ce symbole, rigoureusement fondé sur les données de l’Insee.

L’objectif n’est pas de disqualifier les campagnes existantes, mais de renforcer leur crédibilité en distinguant clairement les niveaux d’analyse. Car pour espérer corriger une inégalité, encore faut-il la nommer correctement. Confondre les chiffres, c’est confondre les causes. Mieux les comprendre, c’est ouvrir la voie à des actions plus justes et plus efficaces.

Dans cette perspective, l’écart salarial de 3,8 % n’est pas un chiffre secondaire. Il est le révélateur du point aveugle de nos politiques d’égalité. Là où les structures évoluent lentement, où les lois existent, où les entreprises s’engagent – mais où, malgré tout, l’égalité formelle ne garantit pas encore l’égalité réelle. C’est précisément ce point que nous devons désormais surveiller, corriger, et – enfin – faire disparaître : Les inégalités voire les discriminations qui demeurent.