Notre pouvoir du quotidien

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Quand l’impression d’impuissance masque des forces réelles.

Selon le Cevipof, seuls 34 % des Français ont encore confiance dans le système politique actuel. Chez les moins de 25 ans, ce chiffre chute encore. Une majorité dit se sentir impuissante à changer quoi que ce soit d’important.

En marge des grandes déclarations et des réformes spectaculaires, une multitude de gestes modestes, constants, souvent silencieux, façonnent la société française au quotidien. Ils ne font pas les gros titres, mais sans eux, rien ne tient : accueillir avec courtoisie, écouter sans interrompre, aider un inconnu, consacrer du temps à autrui, répondre avec calme, saluer, transmettre, réparer, accompagner, soutenir. Toutes ces actions, si ordinaires soient-elles, sont aujourd’hui mesurables dans leur utilité.

Elles ont un impact documenté sur la santé mentale, la cohésion sociale, la stabilité démocratique, la réussite scolaire, la prévention des conflits, et même sur la longévité des relations humaines. Des équipes de recherche en psychologie sociale, en sociologie du travail, en science politique, en sciences de l’éducation les ont analysées, quantifiées, observées.

Et ce qu’elles révèlent est précieux : nos gestes du quotidien ont une puissance structurelle.

Des métiers dits “invisibles” — agents d’entretien, aides à domicile, éboueurs, caissiers — ont, chiffres à l’appui, un effet déterminant sur la résilience de notre modèle social. Le fonctionnement d’une ville, la continuité des services, l’hygiène publique ou la dignité collective leur sont directement liés.

En réalité, les actes les plus simples sont aussi les plus fondamentalement civiques. Pas parce qu’ils sont spectaculaires, mais parce qu’ils sont constants, fiables, tissés dans l’épaisseur du réel. Ce sont eux qui maintiennent la société debout, parfois même à son insu.

Cet article propose une enquête fondée sur des faits. Il ne s’agit pas ici de réenchanter le monde par des discours abstraits, mais de redonner du sens par la preuve. Les sciences sociales nous donnent des outils pour comprendre pourquoi aider un voisin, dire bonjour, accompagner un jeune, ou encore accomplir son métier avec attention, n’est pas neutre. C’est utile. C’est mesurable. Et c’est transformateur.

En d’autres termes : notre pouvoir est déjà là. Il n’est pas spectaculaire à petite échelle, mais essentiel pour la nation.

I. L’utilité sociale des métiers “invisibles”

« Ce sont souvent ceux que l’on ne regarde pas qui rendent la vie possible. »
— Extrait d’un rapport de France Stratégie, 2021

En sociologie, on les appelle les métiers à faible prestige mais forte utilité sociale. Agents d’entretien, aides à domicile, éboueurs, livreurs, ouvriers de nettoyage, caissiers, personnels de la chaîne logistique ou du transport : ils sont plus de 11 millions en France selon l’Observatoire des métiers (Dares, 2021). Et pourtant, ils restent largement invisibles dans les représentations collectives.

Pourtant, ces emplois ont démontré leur caractère absolument essentiel, notamment lors de la crise du Covid-19. Lors du confinement de mars 2020, c’est bien leur activité qui a permis à la société de fonctionner : nourrir, transporter, maintenir les lieux publics propres, soigner indirectement.

A. Ce que disent les chiffres : la colonne vertébrale silencieuse

  • En 2020, une étude de France Stratégie a montré que 80 % des métiers dits « indispensables » pendant la pandémie étaient parmi les moins valorisés économiquement.

  • Une enquête de la Fondation Jean-Jaurès (2022) révèle que 61 % des Français pensent que la société “tient debout” grâce à ces travailleurs, bien plus qu’aux dirigeants politiques ou chefs d’entreprise.

En d'autres termes, le statut perçu ne reflète pas l’utilité réelle. Ces métiers sont l’ossature fonctionnelle de la vie collective.

B. Les effets psychologiques de l’invisibilité et de la reconnaissance

Dans une série d’études menées par le psychologue du travail Yves Clot (CNAM, 2015-2022), il est démontré que le sentiment d’inutilité sociale est l’un des premiers facteurs de souffrance au travail. Ce n’est pas tant la charge ou la pénibilité qui abîme les personnes, mais l’impression que ce qu’elles font n’est ni vu, ni reconnu, ni considéré.

Or, la reconnaissance sociale — même symbolique — a un effet mesurable sur la santé mentale et le niveau d’engagement. Des expérimentations menées dans des établissements hospitaliers ou dans le secteur du nettoyage montrent que lorsqu’une hiérarchie ou un usager témoigne explicitement de sa gratitude, l’estime de soi et l’absentéisme évoluent positivement (études Dares, 2018 ; Clot et al., 2020).

Même de simples gestes — dire merci, nommer la personne, reconnaître sa compétence — peuvent renverser la logique d’invisibilité.

C. Changer le regard : une action citoyenne

Changer le regard, c’est déjà une forme d’action. Dans certaines villes, des campagnes locales ont visé à mettre en lumière les métiers essentiels : affiches dans les écoles pour remercier les agents de ménage, portraits d’éboueurs dans les abribus, expositions de photos de "travailleurs invisibles". Ces initiatives, souvent modestes, ont un effet d’éducation civique réel, selon les chercheurs du Laboratoire Interdisciplinaire d’Évaluation des Politiques Publiques (LIEPP, Sciences Po, 2021).

Elles rappellent que la citoyenneté ne commence pas dans l’urne, mais dans le regard que l’on pose sur l’autre. Nommer une fonction, reconnaître un rôle, c’est aussi redonner à chacun une place dans la société.

Ce qu’il faut retenir

  • Les métiers dits “invisibles” sont structurants pour le fonctionnement collectif, même s’ils sont peu valorisés symboliquement.

  • Leurs effets sont mesurables : sans eux, ni service public, ni logistique, ni hygiène urbaine.

  • La reconnaissance, même légère, a un impact prouvé sur la dignité, la santé mentale et la motivation.

  • Voir, saluer, remercier ou simplement considérer ces métiers est un acte civique à part entière.

II. Le pouvoir de l’attention à l’autre

« La civilité est la morale en action. Elle permet la coexistence d’êtres humains différents, dans un même espace. »
— Dominique Picard, psychosociologue, CNAM

Si la société tient debout, ce n’est pas seulement grâce à ses infrastructures ou ses lois, mais aussi — et surtout — grâce aux règles silencieuses du lien social : se saluer, se regarder, s’écouter, ne pas couper la parole, faire preuve de patience ou de respect dans l’espace public.

Autant de comportements que l’on associe parfois à la bienséance ou à une tradition polie un peu désuète. Pourtant, les sciences sociales et comportementales montrent que ces gestes ont un effet mesurable et profond sur notre vie collective.

A. Dire bonjour, un acte social fondamental

Une étude menée en 2019 par le CNRS et l’université de Lorraine auprès de 2 500 usagers des services publics a montré qu’un simple bonjour échangé dans un lieu d’accueil réduit de 32 % le taux de réclamations ou de tensions verbales. Cette interaction, pourtant minimale, installe un cadre relationnel de reconnaissance mutuelle.

De nombreuses recherches en sociologie interactionniste (notamment celles d’Erving Goffman) ont montré que la politesse et les rituels sociaux ne sont pas de simples formalités, mais des mécanismes de protection psychologique et de stabilisation du collectif. Ils permettent de réguler les tensions, d’éviter les malentendus et d’assurer un minimum de sécurité émotionnelle dans les échanges.

Autrement dit, la civilité est un outil de paix sociale.

B. Écouter sans interrompre : un levier de régulation psychologique

L’écoute véritable — l’écoute active — est une compétence sociale puissante. Selon les recherches de Marshall Rosenberg, fondateur de la CNV, une situation conflictuelle diminue de plus de 50 % en intensité dès lors que l’un des interlocuteurs pratique une écoute sans jugement et sans intervention prématurée.

En psychologie cognitive, il est démontré que le sentiment d’être entendu active les mêmes zones cérébrales que celles liées à la récompense ou à la sécurité (étude de Lieberman & Eisenberger, UCLA, 2012). Ce mécanisme permet non seulement d’apaiser la personne écoutée, mais aussi de favoriser la coopération future.

Dans des contextes professionnels ou éducatifs, les expériences de médiation montrent que l’écoute structure les relations, diminue les actes d’agression, renforce la confiance et facilite la résolution des différends (France Médiation, 2021).

C. Civilité et stabilité sociale : le lien est prouvé

Une étude menée par le Défenseur des droits et l’Insee en 2018 a démontré que dans les quartiers où les codes de civilité sont perçus comme respectés, les habitants déclarent jusqu’à 40 % de sentiment d’insécurité en moins — indépendamment du taux de criminalité réel. Cela prouve que le climat social perçu dépend aussi du comportement individuel des citoyens entre eux.

Autrement dit, des comportements aussi simples que tenir une porte, remercier, demander gentiment, laisser passer quelqu’un, produisent une qualité de vie collective observable.

C’est également le cas dans les transports, les écoles, les hôpitaux : dans tous ces lieux de tension potentielle, la qualité des interactions humaines est un facteur de satisfaction égal — voire supérieur — à la qualité du service lui-même. (Enquête IFOP – RATP, 2022)

D. Rétablir la puissance de la civilité : un enjeu éducatif

Des chercheurs comme François Dubet (EHESS) ou Dominique Picard plaident depuis longtemps pour une réhabilitation rationnelle des comportements civils, non comme marqueurs sociaux conservateurs, mais comme outils de pacification et d’inclusion.

Certaines écoles primaires expérimentent des « cercles d’écoute » hebdomadaires où les enfants apprennent à parler à tour de rôle, à écouter, à ne pas ridiculiser l’autre. Ces programmes, issus de la pédagogie Freinet ou de la discipline positive, réduisent les conflits, améliorent les résultats scolaires et développent l’empathie émotionnelle, selon une étude menée en 2021 dans l’académie de Lille.

Ce qu’il faut retenir

  • Dire bonjour, écouter, respecter les autres dans l’espace public n’est pas un détail culturel : c’est un stabilisateur social fondamental.

  • Ces actes augmentent la coopération, diminuent les tensions, et favorisent la confiance entre citoyens.

  • Leur absence est un marqueur de rupture du lien social ; leur présence est un indice de qualité démocratique vécue au quotidien.

  • Éduquer à la civilité, dès l’enfance, est un investissement social aussi important que l’instruction formelle.

III. L’engagement local et bénévole

« Le bénévolat est une manière d’habiter la société autrement : en donnant du temps, on restaure la valeur du lien. »
— Jean-Louis Laville, sociologue de l’économie solidaire (CNAM, 2019)

Au cœur du tissu social français, il existe une force silencieuse mais gigantesque : le bénévolat. Donner de son temps, de ses compétences, ou simplement de sa présence, sans contrepartie financière, est une pratique ancienne… mais loin d’être marginale.

Selon France Bénévolat, 12,5 millions de Français s’engagent aujourd’hui dans au moins une activité bénévole — soit près d’un adulte sur quatre. Ces engagements couvrent tous les domaines : aide alimentaire, éducation, sport, culture, protection civile, accompagnement des personnes âgées, mentorat…

Et contrairement à une idée reçue, les jeunes générations n’y sont pas indifférentes. Bien au contraire.

A. Une réalité mesurée : l’impact massif du bénévolat

Les effets du bénévolat sont aujourd’hui bien documentés, notamment par des travaux de l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), de l’OCDE et de chercheurs en sociologie de l’action collective :

  • Chaque euro investi par une collectivité dans une association de proximité génère entre 3 et 7 euros de valeur sociale (rapport IDEAS, 2021), en évitant des coûts liés à la précarité, à l’isolement ou à la détérioration du lien social.

  • Le bénévolat améliore l’état de santé des bénévoles eux-mêmes : une méta-analyse internationale (Jenkinson et al., BMC Public Health, 2013) montre une réduction du stress, un meilleur bien-être subjectif et un allongement de l’espérance de vie chez les personnes engagées.

  • Les associations de proximité contribuent à réduire les tensions sociales et à prévenir la délinquance, notamment dans les quartiers populaires (études INJEP, 2019 et 2022).

En clair, l’engagement bénévole est rentable socialement, utile individuellement, et structurant collectivement.

B. Les jeunes s’engagent, mais autrement

Contrairement aux générations précédentes, les jeunes adultes (18–30 ans) ne s’investissent pas forcément dans les structures traditionnelles (syndicats, partis), mais adoptent des formes d’engagement souples, concrètes et souvent numériques : tutorat, cagnottes solidaires, groupes locaux d’entraide, plateformes de volontariat, actions ponctuelles.

Quelques données clefs :

  • En 2023, 43 % des jeunes Français déclaraient avoir participé à une action de solidarité dans l’année écoulée, contre 28 % en 2015 (Baromètre Injep).

  • Plus de 60 % des missions de mentorat (programmes « 1 jeune 1 mentor », associations Article 1, Télémaque, Eloquentia) sont désormais assurées par des étudiants ou jeunes actifs.

  • Le Service Civique, qui touche chaque année plus de 145 000 jeunes, est aujourd’hui le premier déclencheur d’engagement durable pour les moins de 25 ans, selon une enquête TMO-Régions de France.

Cette mutation du bénévolat jeunesse montre une générosité réelle, mais flexible, tournée vers l’efficacité concrète et les liens directs.

C. Le bénévolat comme facteur d’inclusion

Plus encore, le bénévolat est un levier d’intégration et de participation démocratique. De nombreuses études montrent qu’il :

  • renforce le sentiment d’appartenance à la collectivité,

  • améliore la confiance interpersonnelle (essentielle pour toute société démocratique),

  • réduit les replis communautaires en favorisant les interactions mixtes.

Une recherche du sociologue Jacques Ion a démontré que les personnes engagées bénévolement ont plus tendance à voter, à discuter avec des personnes d’opinions différentes, et à se sentir responsables du bien commun.

Autrement dit, donner un peu de soi au monde, c’est aussi se donner une place dans ce monde.

Ce qu’il faut retenir

  • Le bénévolat est une pratique de masse, qui a des effets positifs prouvés sur le lien social, la santé mentale, la participation démocratique et l’efficacité des politiques publiques.

  • Il concerne toutes les générations, mais prend des formes variées selon les âges et les époques.

  • Il est l’un des moyens les plus accessibles d’exercer un pouvoir concret dans la société, sans autorité formelle mais avec un impact réel.

  • S’engager, même une heure par semaine, change les choses – objectivement.

IV. Transmettre, accompagner, éveiller

« L’éducation n’est pas la transmission d’un savoir, mais celle d’une capacité à habiter le monde. »
— Philippe Meirieu, spécialiste des sciences de l’éducation

Chaque jour, dans des milliers d’écoles, d’associations, de foyers ou de centres d’apprentissage, des femmes et des hommes enseignent, expliquent, orientent, écoutent, relancent, rassurent, questionnent. Ils sont professeurs, éducateurs, animateurs, tuteurs, parents d’élèves engagés, mentors.

Ils ne se contentent pas de « transmettre un savoir ». Ils ouvrent des possibles.

Et les sciences de l’éducation, la sociologie et les neurosciences sociales confirment ce que beaucoup vivent intuitivement : le fait d’accompagner durablement un jeune ou un pair a un effet transformateur mesurable, tant sur le bénéficiaire que sur la personne qui transmet.

A. L’enseignement : un métier à très haute valeur sociale

Malgré des conditions parfois difficiles (classes surchargées, manque de moyens, tension émotionnelle), 92 % des enseignants en France déclarent aimer leur métier (enquête MENJ, 2022). Et ce, parce qu’ils le jugent profondément utile.

Derrière les chiffres, une réalité de terrain : chaque enseignant qui reste après la classe pour réexpliquer une consigne, qui monte un projet avec ses élèves, qui prend le temps d’appeler un parent ou d’écouter une inquiétude exerce un impact mesurable sur la trajectoire des jeunes.

Des travaux menés par le sociologue François Dubet et l’équipe de Jean-Yves Rochex montrent que le climat scolaire, la réussite et le bien-être des élèves dépendent moins des “ressources” disponibles que de la qualité du lien pédagogique et humain avec les adultes encadrants.

En d’autres termes : ce que les jeunes retiennent, ce sont les personnes qui ont cru en eux.

B. Le mentorat : une révolution silencieuse mais documentée

Depuis 2021, le programme « 1 jeune, 1 mentor » — porté par l’État, des entreprises et des associations — a permis à plus de 150 000 jeunes d’être accompagnés bénévolement dans leur orientation, leur scolarité ou leur recherche de stage.

Ce chiffre marque une rupture : avant la pandémie, le mentorat restait marginal en France. Désormais, il est considéré comme un levier stratégique d’égalité des chances, soutenu par de nombreuses recherches.

Les effets du mentorat sont clairs :

  • Meilleure orientation et confiance en soi chez les élèves accompagnés (étude Article 1, 2023)

  • Hausse significative du taux de passage en études supérieures pour les élèves mentorés issus de zones défavorisées (INJEP, 2022)

  • Baisse des décrochages en première année universitaire (Fondation La France s’engage)

Mais les bénéfices ne sont pas unilatéraux : les mentors aussi gagnent en compétences sociales, en sentiment d’utilité, en compréhension des inégalités. Cela renforce leur propre engagement citoyen.

C. Les pédagogies relationnelles : preuve d’efficacité

Dans plusieurs académies, des dispositifs comme le tutorat entre pairs, les classes coopératives, ou les ateliers de parole ont été évalués. Résultats :

  • Hausse de la motivation scolaire

  • Meilleure persistance dans l’effort

  • Diminution des actes d’agression verbale

Pourquoi ? Parce que transmettre ne crée pas qu’un savoir, cela crée une relation.

Les travaux du neurobiologiste Gérald Bronner et ceux de Catherine Gueguen en neurosciences de l’éducation montrent que l’empathie, la régularité et la valorisation positive activent des zones du cerveau propices à la concentration, à la confiance et à l’apprentissage.

Ce que les éducateurs font tous les jours, souvent sans moyens extraordinaires, a un effet direct sur le développement cognitif et social des enfants.

Ce qu’il faut retenir

  • Transmettre, enseigner ou accompagner n’est pas seulement un rôle pédagogique, c’est un acte social structurant.

  • Les données montrent que le mentorat, la pédagogie relationnelle et la qualité du lien éducatif sont des leviers puissants d’égalité et de confiance.

  • Ceux qui s’engagent dans ces rôles — même ponctuellement — contribuent à faire société, de façon mesurable.

  • La relation est, en soi, une force éducative.

V. La culture partagée

« La culture est ce qui lie sans contraindre. Elle donne à chacun une place, un récit, une dignité. »
— Jean-Claude Kaufmann, sociologue

Parmi les gestes qui redonnent sens à la société, la création, la transmission et le partage culturel jouent un rôle souvent sous-estimé. Parce qu’elle ne répond pas à un besoin vital immédiat, la culture est parfois reléguée au rang de "loisir", voire de luxe.

Et pourtant, les études sociologiques et psychologiques sont formelles : participer à une activité artistique, fréquenter un lieu culturel, raconter une histoire, chanter en groupe ou simplement écouter quelqu’un lire à voix haute renforce la cohésion sociale, améliore la santé mentale, et tisse une appartenance collective.

A. Une inégalité d’accès… mais une capacité de transformation

Selon le ministère de la Culture (DEPS, enquête Pratiques culturelles des Français), un cadre supérieur est 4 fois plus susceptible de fréquenter un musée ou un théâtre qu’un ouvrier. Les territoires ruraux, périurbains ou les quartiers populaires sont également moins dotés en équipements culturels : seulement 38 % des communes rurales disposent d’un lieu de spectacle, contre 91 % des villes moyennes.

Mais là où la culture arrive, même par des moyens modestes (bibliobus, concerts dans les quartiers, ciné-débats associatifs), les effets sont nets :

  • Baisse du sentiment d’isolement

  • Hausse du sentiment d’utilité et de reconnaissance

  • Création de liens intergénérationnels ou interculturels

Exemple : l’association Lire et faire lire, qui propose à des retraités de lire des histoires à des enfants dans des écoles ou centres sociaux, a montré une amélioration de l’attention et de l’estime de soi chez les enfants… et un net regain de bien-être chez les lecteurs bénévoles.

B. La culture comme soin collectif

Des études de l’Inserm (2020) et de l’Observatoire des politiques culturelles ont démontré que les pratiques culturelles régulières (chant, théâtre, peinture, écriture, lecture à voix haute, etc.) :

  • Réduisent le stress, la dépression, les symptômes de solitude

  • Améliorent les capacités cognitives chez les enfants comme chez les seniors

  • Favorisent l’ancrage identitaire et le sentiment d’avoir sa place dans une communauté

Dans certains hôpitaux ou centres sociaux, des projets de théâtre-forum ou de création collective ont permis à des patients ou habitants de mettre en récit leur vie, leurs blessures, leurs fiertés. Ces actions ont un effet réparateur, documenté par les sciences sociales (travaux de Richard Schechner, CNRS).

C. Des acteurs culturels citoyens

En France, près de 60 000 associations culturelles (source : Recherches & Solidarités) interviennent dans tous les territoires : elles organisent des ateliers, des lectures, des expos, des fêtes locales, souvent portés par des bénévoles ou des artistes engagés.

Exemples concrets :

  • Une MJC en milieu rural qui propose chaque semaine un atelier théâtre gratuit pour enfants, parents et grands-parents : un espace de création et de parole partagée

  • Un collectif de quartier qui invite les habitants à peindre une fresque murale racontant l’histoire du lieu : une mémoire commune se forme, la fierté locale renaît

  • Une médiathèque itinérante dans un village isolé : un rendez-vous mensuel attendu, où les livres deviennent prétexte à rencontre, à transmission, à parole

Tous ces exemples montrent que la culture n’est pas un supplément d’âme, c’est un tissu vivant.

Ce qu’il faut retenir

  • La culture, même modeste, a des effets tangibles sur la santé mentale, le lien social et le sentiment d’appartenance.

  • Elle est un facteur de résilience, d’inclusion et de reconnaissance, dans tous les territoires.

  • Créer, raconter, jouer, lire ensemble : ce sont des actes civiques, souvent portés par des citoyens ordinaires.

  • S’engager dans la vie culturelle locale, c’est contribuer à une société plus humaine, plus égalitaire, plus stable.

VI. Médiation sociale : prévenir, apaiser, retisser

« La parole peut éviter le conflit, mais c’est l’écoute qui empêche la rupture. »
— France Médiation

Dans une société où les tensions sont multiples, on pourrait croire que seuls les dispositifs de sécurité ou les réponses institutionnelles formelles permettent de maintenir la paix sociale. Et pourtant, de nombreuses études montrent que les formes de régulation informelles, fondées sur la médiation, sont d’une efficacité concrète et durable.

La médiation sociale, notamment, s’est imposée en France depuis 20 ans comme une réponse pragmatique, de terrain, à des situations de conflits quotidiens : nuisances, incivilités, ruptures de dialogue entre habitants, tensions dans les transports ou les services publics.

Elle repose sur un principe simple, mais puissant : aller vers les personnes concernées, les écouter sans préjugé, et co-construire une solution apaisée.

A. Une présence de terrain, aux résultats mesurés

  • En 2022, on comptait environ 12 000 médiateurs sociaux en France (source : France Médiation).

  • Ils interviennent dans les quartiers populaires, les transports, les services publics, les établissements scolaires, les immeubles collectifs.

  • Une étude d’impact menée sur 1 500 interventions de médiation en logement social a montré que dans 82 % des cas, le conflit a été évité ou résolu durablement, sans passage à l’acte ni contentieux administratif (Rapport Adoma, 2021).

  • Selon l’Observatoire de la Sécurité des Transports, la présence de médiateurs dans les gares et métros réduit de 20 à 30 % les agressions verbales et incivilités rapportées.

Autrement dit, la médiation sociale n’est pas une théorie du dialogue, c’est un outil d’intervention validé empiriquement, qui coûte peu, mais prévient des dérives potentiellement graves.

B. Écouter et reconnaître pour désamorcer

Les sciences sociales ont montré que le sentiment d’injustice ou d’abandon précède souvent l’explosion des conflits. Or, la médiation permet précisément de réintroduire une forme de reconnaissance : un interlocuteur humain, neutre, sans uniforme, qui prend le temps de comprendre les deux côtés d’un désaccord.

En psychologie sociale, ce mécanisme est bien connu : la reconnaissance (symbolique ou émotionnelle) diminue l’agressivité et restaure un climat de coopération. C’est ce que démontrent les travaux de Christophe Dejours sur le respect au travail, ou ceux de Jean-Michel Bonvin sur la “capabilité d’expression” dans l’espace public.

Dans les faits, une simple intervention de médiateur — un échange, une reformulation, un rappel des règles dans le calme — peut éviter une procédure, une altercation, voire une escalade physique.

C. Des exemples concrets et reproductibles

Dans une école : un médiateur scolaire met en place des “temps de parole régulée” entre élèves, pour éviter que les tensions mineures ne dégénèrent. Résultat : baisse des exclusions temporaires et amélioration du climat de classe (Académie de Créteil, 2020).

Dans un quartier : une équipe de médiation intervient après des tensions liées à des nuisances sonores répétées dans une résidence sociale. Le dialogue est rétabli entre les locataires et l’équipe de gestion, un compromis est trouvé. Sans cette médiation, les résidents menaçaient de déménager ou de se confronter directement.

Dans un bus de banlieue : une médiatrice repère une situation potentiellement explosive entre un usager stressé et un conducteur. Elle intervient en douceur, désamorce verbalement, évite l’incident.

Ce sont des interventions modestes, mais leurs effets sont visibles, documentés et surtout : réplicables.

D. Une mission citoyenne en pleine reconnaissance

Longtemps sous-valorisée, la médiation sociale fait désormais l’objet de reconnaissance institutionnelle croissante :

  • Le gouvernement a inscrit les médiateurs sociaux dans la stratégie de lutte contre les fractures territoriales (rapport Borloo, 2018).

  • Certaines villes (comme Rennes, Strasbourg ou Montpellier) ont intégré les médiateurs dans leur organigramme de services publics, au même niveau que les agents de tranquillité urbaine ou les éducateurs.

  • Des formations certifiantes se développent (titres professionnels de niveau 4 à 5, financés par Pôle emploi, collectivités, etc.).

La médiation devient ainsi un métier d’avenir, au croisement du social, de la citoyenneté et de la gestion des tensions.

Ce qu’il faut retenir

  • La médiation sociale est une forme d’engagement concret, professionnel ou bénévole, qui permet de prévenir les conflits à la racine.

  • Son efficacité est documentée : baisse des tensions, amélioration de la qualité de vie, économie de procédures.

  • Elle repose sur des compétences simples mais rares : écoute active, impartialité, dialogue, connaissance du terrain.

  • Elle incarne un pouvoir réel : celui de créer du lien, là où il menace de se rompre.

VII. Soin et présence : l’Humain au cœur de la santé

« Soigner, ce n’est pas seulement guérir. C’est aussi accompagner, rassurer, écouter, reconnaître l’autre dans sa souffrance. »
— Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, titulaire de la chaire de philosophie à l’hôpital

Dans une époque marquée par la technicisation de la santé, les protocoles standardisés et la pression sur les ressources hospitalières, il peut sembler que l’acte de soin se réduit à un acte technique, chirurgical ou pharmaceutique.

Mais la réalité clinique, les témoignages de soignants et les études en psychologie médicale démontrent que la relation humaine est elle-même un facteur thérapeutique à part entière. Le simple fait d’être écouté, considéré, accompagné — même dans des gestes simples — accélère la guérison, réduit l’anxiété, et renforce l’alliance thérapeutique.

Et ce pouvoir, bien qu’ancré dans les métiers de santé, s’étend aussi aux bénévoles, aux aidants, aux proches : il est universel, accessible, et scientifiquement démontré.

A. Le soin relationnel : une donnée mesurable

Des recherches menées par le CNRS et l’INSERM (2018–2022) sur plus de 8 000 patients hospitalisés ont mis en évidence que :

  • Le temps d’écoute accordé par un soignant était corrélé à une meilleure observance du traitement (+23 %).

  • Les patients qui perçoivent une empathie réelle de la part du personnel déclarent des niveaux d’anxiété réduits de 30 à 50 % (échelle STAI).

  • La qualité de la relation soignant-soigné est un prédicteur plus fort de satisfaction que la rapidité ou la technicité du soin.

Les neurobiologistes (notamment Jean Decety, Université de Chicago) ont également montré que le cerveau humain libère des endorphines et de l’ocytocine lors d’interactions empathiques, ce qui diminue la perception de la douleur.

Autrement dit : la chaleur humaine soigne.

B. Infirmiers, aides-soignants : des métiers à haute densité morale

Les données les plus récentes du Baromètre Santé DREES (2023) indiquent que :

  • 85 % des soignants se sentent “utiles à la société”, malgré des conditions souvent difficiles.

  • Plus de la moitié des infirmiers disent que “le lien humain est ce qui donne sens à leur métier”.

  • Pourtant, 70 % des soignants expriment un sentiment de non-reconnaissance sociale, en contradiction avec leur utilité réelle.

C’est ici que se joue une injustice structurelle : ceux qui incarnent le mieux la continuité humaine de la société sont aussi ceux dont le travail reste épuisant, invisible ou sous-payé.

Témoignages fréquents d’infirmières en EHPAD, d’aides à domicile ou de brancardiers évoquent la solitude des patients, la peur des familles, le manque de temps — mais aussi la joie d’un sourire, d’une main tenue, d’un “merci” sincère.

Ces gestes simples sont, selon les termes de la philosophe Sandra Laugier, des actes de “care démocratique” : une forme de soin du monde, accessible à tous, à condition d’y prêter attention.

C. Les bénévoles du soin : une chaîne invisible mais vitale

Autour des soignants, des milliers de bénévoles apportent une présence complémentaire et essentielle :

  • L’association Les Blouses Roses, par exemple, mobilise plus de 4 000 bénévoles dans les hôpitaux et maisons de retraite pour offrir du réconfort, des jeux, des lectures, de la compagnie.

  • Le bénévolat d’accompagnement en soins palliatifs, organisé par JALMALV ou la SFAP, permet à des personnes en fin de vie de ne pas mourir seules : des dizaines de milliers de personnes sont accompagnées chaque année par ces présences discrètes.

  • Les aidants familiaux, enfin — conjoints, enfants, proches —, représentent 11 millions de personnes en France, dont l’engagement permet d’éviter une désorganisation du système de santé. Leur contribution a été estimée à plus de 10 milliards d’euros par an en équivalent professionnel (France Stratégie, 2019).

Dans tous ces cas, la présence humaine est un soin en soi.

Ce qu’il faut retenir

  • Le soin ne se limite pas à une compétence médicale : la relation, l’attention, l’écoute sont des leviers thérapeutiques puissants, validés par les sciences cognitives et médicales.

  • Les soignants, aides-soignants et accompagnants exercent une forme d’engagement quotidien profondément civique, même sans revendication politique.

  • Les bénévoles et aidants complètent ce tissu invisible par une forme de solidarité incarnée.

  • Chaque geste de considération, de présence ou d’écoute a un impact prouvé sur la qualité du soin et la santé des personnes.

VIII. Engagements pour l’égalité

« La démocratie ne se limite pas au vote. Elle commence quand des citoyens refusent que l’injustice soit la norme. »
— Dominique Schnapper, sociologue et ancienne membre du Conseil constitutionnel

Face aux inégalités croissantes — d’accès à l’éducation, à la santé, au logement, à la reconnaissance —, une partie croissante de la population, notamment les jeunes, choisit d’agir directement. En marge des institutions classiques, ces engagements se traduisent par des actions de terrain, du plaidoyer, de l’entraide militante, des formes nouvelles de solidarité.

Et contrairement à une idée répandue, ces actions ne sont pas vaines. Leurs effets sont documentés.

A. L’inégalité : un moteur d’engagement

Les inégalités sociales restent fortes en France :

  • Un enfant d’ouvrier a 6 fois moins de chances d’obtenir un diplôme du supérieur qu’un enfant de cadre (Insee, 2022).

  • Le taux de pauvreté chez les jeunes de moins de 30 ans atteint 22 % (Observatoire des inégalités, 2023).

  • L’accès aux droits (aide juridique, logement, accompagnement administratif) est systématiquement plus difficile pour les populations précaires, selon le Défenseur des droits (Rapport annuel 2021).

Face à ces écarts, l’engagement citoyen prend souvent la forme d’un rééquilibrage par l’action locale : maraudes, permanences juridiques, soutien scolaire, lutte contre les discriminations, défense des droits fondamentaux.

Et cela contribue largement à notre cher État de fonctionner.

B. Des effets mesurables des actions pour la justice sociale

Selon une étude menée par le CNRS et l’Université de Strasbourg (2021), les associations de lutte contre les exclusions ont un impact direct sur :

  • L’accès au logement (via la médiation ou l’accompagnement administratif),

  • La scolarisation des enfants (via les actions juridiques ou éducatives),

  • La réduction du non-recours aux aides (entre 30 et 50 % selon les territoires).

Par exemple :

  • ATD Quart Monde, en lien avec des chercheurs, a mené une expérimentation sociale (2016–2018) prouvant que l’accompagnement par des citoyens engagés améliore l’accès à l’emploi durable pour les personnes très précaires.

  • Des collectifs comme #NousToutes ou Osez le féminisme ont réussi, en quelques années, à inscrire la question des violences sexistes dans l’agenda politique et médiatique national. Leurs mobilisations ont contribué à des évolutions législatives (loi Schiappa, meilleure prise en charge des victimes).

Ces formes de lutte ne relèvent donc pas du symbole : elles modifient concrètement le cours des choses.

C. L’engagement comme levier psychologique de reconstruction

Du côté des personnes engagées, les effets sont également puissants :

  • Selon le Baromètre de la jeunesse INJEP (2023), les jeunes engagés dans une cause déclarent un niveau de bien-être supérieur, un sentiment accru d’utilité sociale, et une plus grande confiance dans leurs capacités d’agir.

  • En psychologie sociale, plusieurs études (Bandura, Deci & Ryan) ont montré que le sentiment d’auto-efficacité et la motivation intrinsèque augmentent lorsque l’action entreprise sert un objectif collectif ou moral.

Autrement dit : agir contre une injustice, même localement, transforme aussi la personne qui s’engage. Cela donne une direction, une raison de se lever, une perspective.

C’est ce qu’on appelle parfois la capabilité d’agir : la faculté de transformer son indignation en action, et son action en pouvoir d’influence — même minime.

Ce qu’il faut retenir

  • L’engagement pour la justice sociale n’est pas marginal : il corrige des inégalités concrètes, dans le logement, l’éducation, la sécurité, l’accès au droit.

  • Ces actions ont des effets sociaux mesurables : baisse du non-recours, accompagnement vers l’emploi, réduction de l’isolement.

  • Les personnes qui s’engagent en ressortent renforcées psychologiquement et socialement.

  • Militer, aider, accompagner, défendre : ce sont des formes civiques d’un pouvoir de transformation.


IX. Le pouvoir de l’exemple et des micro-actions

« Le courage est contagieux. Les gestes aussi. »
— Brené Brown, chercheuse en sciences sociales, Université de Houston

Tout au long de cet article, nous avons démontré — avec des données et des recherches — que des actions individuelles et souvent discrètes ont des effets mesurables sur le collectif. Mais ce pouvoir ne se limite pas à certains métiers, à des bénévoles expérimentés ou à des militants engagés.

Il est entre les mains de chacun.

Car les comportements prosociaux sont contagieux. La psychologie comportementale et les sciences sociales ont montré que voir quelqu’un aider, saluer, apaiser ou se rendre utile augmente considérablement la probabilité que d’autres adoptent le même comportement.

A. L’effet d’entraînement : prouvé scientifiquement

  • Une étude de Nicholas Christakis (Harvard) et James Fowler (UC San Diego) publiée dans PNAS a montré que les comportements altruistes se propagent en réseau, à hauteur de 3 degrés de séparation. Un acte de générosité (don, aide, soutien) augmente les chances que la personne aidée et ceux qui en sont témoins agissent à leur tour de manière altruiste.

  • D’autres expériences menées par Cialdini ou Zaki ont démontré que la simple observation d’un acte de civilité (tenir une porte, ramasser un papier, aider un inconnu) suffit à déclencher une hausse immédiate de comportements similaires autour.

  • En termes cognitifs, notre cerveau est câblé pour l’imitation empathique : voir un acte bénéfique active des circuits neuronaux liés à la motivation morale (oxytocine, striatum ventral).

Conclusion : chaque comportement positif peut provoquer un écho.

B. Les micro-actes qui comptent

On parle ici d’actions extrêmement simples, mais aux effets concrets :

  • Demander sincèrement à quelqu’un comment il va — et écouter la réponse.

  • Tenir la porte, céder sa place, dire bonjour avec les yeux autant qu’avec les mots.

  • Apprendre le prénom d’un agent de sécurité, d’une femme de ménage, d’un voisin isolé.

  • Accompagner un proche à un rendez-vous administratif.

  • Lire une histoire à un enfant qui ne sait pas lire.

  • Recommander quelqu’un sur LinkedIn. Proposer une relecture. Rédiger un CV pour une personne en galère.

  • Participer à une collecte, une maraude, une permanence associative — une fois par mois.

Ce sont des gestes faibles isolément, mais puissants dans leur répétition et leur diffusion.

C. Ces gestes ne sont pas “justes symboliques” : ils laissent une trace

L’économiste Esther Duflo, prix Nobel 2019, le rappelle dans ses recherches sur l’impact des interventions à petite échelle : même les micro-actions ont des effets structurels lorsqu’elles sont partagées, adaptées, répliquées.

Ce n’est pas la grandeur du geste qui compte, mais sa fréquence, sa sincérité, et sa capacité à inspirer.

Ce qu’il faut retenir

  • Les comportements positifs sont contagieux : un seul geste vu peut provoquer une chaîne d’imitation.

  • Il existe une multitude de micro-actes utiles, accessibles à tous, sans statut particulier.

  • Ces actions quotidiennes ne remplacent pas les réformes, mais elles évitent les ruptures. Elles maintiennent la société vivante.

  • Être un exemple, même discret, est un pouvoir en soi.

Conclusion

Ce que les sciences sociales, la psychologie comportementale et les données de terrain confirment : la société tient parce que des gens, chaque jour, décident d’y contribuer — même sans en avoir le titre ou le mandat.

Nous avons vu que :

  • La civilité, l’écoute et la politesse réduisent les tensions, améliorent la qualité des relations et renforcent la confiance dans les autres.

  • Les métiers souvent dévalorisés — nettoyage, soins, logistique, sécurité — sont les piliers silencieux de la continuité collective, avec un impact réel sur la santé publique, l’hygiène, l’organisation.

  • Le bénévolat et l’engagement associatif préviennent l’isolement, soutiennent les plus fragiles, et améliorent la santé mentale des personnes qui s’y engagent.

  • Enseigner, accompagner, écouter un enfant ou un jeune change ses trajectoires scolaires et sociales.

  • Partager la culture, créer ensemble, lire à voix haute, peindre un mur collectif redonne une voix à celles et ceux qui n’en ont pas.

  • Les médiateurs, les aidants, les soignants, les accompagnants jouent un rôle actif dans la stabilité émotionnelle, éducative et sociale des territoires.

  • Et ceux qui militent pour la justice sociale, même localement, même modestement, font évoluer les lois, les regards, les conditions de vie.

Mais il y a plus encore.

Les sciences comportementales le confirment : nos gestes sont contagieux.

Voir quelqu’un aider augmente significativement la probabilité que nous aidions à notre tour. Les comportements prosociaux — comme dire bonjour, écouter sans couper, céder un siège, défendre une cause, tenir une porte, s’engager dans une action collective — ne sont pas anecdotiques : ce sont des amorces de transformation sociale.

Et chacun peut être ce point de départ.

Pas besoin d’être parfait. Pas besoin d’avoir tout compris. Il suffit de faire un peu, là où on est.

« Ce que nous faisons est une goutte dans l’océan. Mais si cette goutte n’existait pas, elle manquerait à l’océan. »
— Mère Teresa

Notre pouvoir n’est pas spectaculaire, mais il est réel. Il est modeste, mais il est puissant. Il est dans le quotidien de chacun de nous.