Peut-on rire de tout en France en 2025 ?

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I. Historique de la question : rire, satire et censure en France
II. Contexte international : le rire et ses frontières dans le monde
III. Peut-on rire de tout en France en 2025 ? Situation contemporaine
IV. Rire en famille ou entre amis : comment préserver l’humour tout en respectant les sensibilités (2025)

La question « peut-on rire de tout ? » est loin d’être nouvelle dans la société française. Depuis plusieurs siècles, le rire, et particulièrement la satire, a toujours représenté un outil puissant mais ambivalent : il permet à la fois d’éclairer les travers d’une société, mais aussi de provoquer des tensions lorsqu'il franchit certaines limites morales, religieuses ou politiques. Dès le XVIIᵉ siècle, le dramaturge Molière s’est heurté à la censure en dénonçant l’hypocrisie religieuse dans sa pièce Tartuffe (Dandrey, 2008). Au XIXᵉ siècle, la caricature politique et sociale a émergé comme une arme redoutable contre les puissants, conduisant certains dessinateurs comme Honoré Daumier à être emprisonnés pour avoir critiqué le régime monarchique (Frémion, 2020).

Au XXᵉ siècle, la France a vu naître une tradition satirique particulièrement forte, incarnée par des figures emblématiques telles que François Cavanna et le professeur Choron, fondateurs en 1960 du journal provocateur Hara-Kiri, qui allait donner naissance à Charlie Hebdo après son interdiction en 1970 (Frémion, 2020). Des humoristes comme Coluche ou Pierre Desproges ont exploré plus loin encore les frontières de l’acceptable, posant explicitement la question du « droit à rire de tout » (Desproges, 1982). C’est précisément Desproges qui popularisa l’idée devenue célèbre que « l’on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde », soulignant dès lors que le rire dépend autant du contexte que de l’audience à laquelle il s’adresse (Desproges, 1982).

Le début du XXIᵉ siècle a fait apparaître des tensions nouvelles. La mondialisation du débat public, amplifiée par internet et les réseaux sociaux, a rendu certaines satires locales susceptibles de provoquer des crises internationales, comme ce fut le cas avec les caricatures danoises de Muhammad (ﷺ) publiées initialement en 2005, entraînant de violentes réactions à travers le monde (John, 2017). En France, l’attentat meurtrier contre Charlie Hebdo en janvier 2015, perpétré en réaction à la republication de ces caricatures, a été un point de bascule dramatique dans la prise de conscience collective des risques liés à la satire (Frémion, 2020). Il a également mis en lumière une fracture sociétale sur ce qu’il est légitime ou non de caricaturer, débat ravivé à chaque nouvelle polémique concernant l’humour ou la liberté d’expression (Gazalé, 2021).

En 2025, dix ans après cet attentat, cette question demeure donc pleinement d’actualité. Si la France continue de défendre juridiquement une liberté d’expression très large – protégée par la loi sur la liberté de la presse de 1881, qui autorise explicitement la critique satirique, y compris religieuse (Durupt, 2016) –, les sensibilités culturelles et sociales imposent de facto des limites mouvantes.

Des enquêtes récentes montrent qu’une majorité de Français (62 % selon un sondage Ifop en 2024) considèrent encore qu’on ne peut pas rire de tout aujourd’hui (Ifop, 2024). Derrière ce chiffre, des fractures générationnelles, culturelles et idéologiques apparaissent, opposant d’un côté les défenseurs absolus d’une satire sans contraintes, et de l’autre ceux qui réclament une vigilance accrue envers les propos jugés offensants ou discriminatoires (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

L'objectif de cet article est d’explorer, avec nuance et sans parti pris, l’évolution historique et internationale du débat sur les limites du rire, puis d'analyser précisément la situation actuelle en France en 2025, en intégrant les dernières données juridiques, sociales et culturelles disponibles, afin de comprendre dans quelle mesure il est effectivement possible aujourd’hui de « rire de tout » dans la société française contemporaine.

I. Historique de la question : rire, satire et censure en France

I.1. De l’Ancien Régime aux Lumières : premières limites du rire

La relation complexe entre humour et pouvoir existe depuis longtemps en France. Sous l’Ancien Régime, les bouffons et fous du roi avaient une liberté conditionnelle : ils pouvaient se moquer du souverain et des courtisans, à condition de ne pas franchir des limites implicites, définies par le respect dû au sacré et à l'autorité royale (Bakhtine, 1970). Cette forme d’humour, contrôlée par les élites, servait à la fois de soupape sociale et d’instrument d’autorégulation (Dandrey, 2008).

Toutefois, dès que l’humour devenait plus critique envers les puissants, la censure intervenait rapidement. L’exemple emblématique de cette tension fut la pièce de théâtre Tartuffe, écrite par Molière en 1664. En dénonçant l’hypocrisie religieuse et l’instrumentalisation politique du sacré, Molière suscita l’indignation des autorités ecclésiastiques et du parti dévot à la Cour. La pièce fut interdite à plusieurs reprises et Molière dut longuement négocier sa liberté artistique avant de pouvoir la jouer intégralement en 1669 (Forestier, 2018).

Au XVIIIᵉ siècle, les philosophes des Lumières tels que Voltaire utilisèrent massivement l’humour comme arme intellectuelle contre les abus religieux et politiques. Le conte satirique Candide (1759), notamment, est une critique féroce des injustices sociales, politiques et religieuses de l’époque, formulée sous la forme d’un humour sarcastique. Mais cette satire était risquée : Voltaire publiait souvent anonymement ou à l’étranger pour échapper à la censure royale et religieuse (Cronk, 2009). Ainsi, déjà à l’époque des Lumières, rire ouvertement de certains sujets comme la religion ou le pouvoir absolu exposait à de sévères représailles.

I.2. XIXᵉ siècle : naissance de la caricature moderne et résistances politiques

Avec l’émergence de la presse satirique au XIXᵉ siècle, l’humour se démocratise, devenant un outil populaire de contestation du pouvoir politique. Toutefois, cette nouvelle liberté rencontre rapidement des résistances. L’exemple le plus frappant fut celui d’Honoré Daumier, caricaturiste célèbre pour ses satires acérées contre le régime monarchique de Louis-Philippe. En 1831, sa lithographie intitulée Gargantua, représentant le roi sous les traits d’un géant avide exploitant le peuple, entraîna son arrestation et une condamnation à six mois de prison pour outrage au roi (Frémion, 2020). Daumier devint dès lors un symbole de la liberté satirique, mais également des limites imposées par le pouvoir.

Le grand tournant juridique en faveur du rire survint à la fin du XIXᵉ siècle avec la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi révolutionnaire pour l’époque supprima notamment le délit de blasphème en France, sauf dans la région d’Alsace-Moselle où il subsistera jusqu’en 2017 (Durupt, 2016). À partir de cette date, il devenait légalement possible de se moquer ouvertement des religions et du pouvoir politique, ouvrant une ère nouvelle pour la satire française. Cependant, cette liberté juridique n'empêcha pas des réactions violentes ponctuelles contre les caricaturistes ou les humoristes qui dérangeaient encore certains groupes sociaux ou politiques (Frémion, 2020).

I.3. XXᵉ siècle : âge d’or de l’humour satirique et polémiques nouvelles

Le XXᵉ siècle marque véritablement l’âge d’or de la satire française. Après la Seconde Guerre mondiale, la France connaît une libération culturelle, symbolisée par la fondation en 1960 du journal Hara-Kiri par François Cavanna et le professeur Choron. Leur humour provocateur, qualifié par eux-mêmes de « bête et méchant », n’épargne aucune institution (armée, Église, État), suscitant régulièrement la polémique (Frémion, 2020).

En novembre 1970, après avoir titré ironiquement « Bal tragique à Colombey : un mort » suite à la mort du général de Gaulle, Hara-Kiri fut interdit par décision gouvernementale. Cependant, loin de capituler, l’équipe du journal le relança immédiatement sous un nouveau nom : Charlie Hebdo (Frémion, 2020). Cet épisode reste un exemple marquant de la résistance de l’humour satirique face aux tentatives de censure.

Par ailleurs, les années 1970-1980 voient émerger de nouvelles figures du rire comme Coluche et Pierre Desproges, qui abordent frontalement des sujets sensibles tels que le racisme, le sexe, la politique ou la mort. Coluche, dans son sketch emblématique Le raciste (1978), tourne en dérision les préjugés xénophobes pour mieux les dénoncer (Raimbaud, 2016). Pierre Desproges, quant à lui, illustre parfaitement les paradoxes du rire en affirmant : « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde », soulignant ainsi que la réception de l'humour dépend largement du contexte et du public (Desproges, 1982). Cette phrase résume à elle seule la complexité de la question humoristique en France.

Toutefois, la fin du XXᵉ siècle voit monter une sensibilité nouvelle envers l'humour jugé discriminant ou offensant. L’importation progressive des débats sur le « politiquement correct », venus principalement des États-Unis, interroge dès lors ouvertement le bien-fondé d’un rire sans limites (Lipovetsky, 1999). Cette période annonce ainsi les tensions du XXIᵉ siècle sur les limites de l'humour en France, entre liberté absolue revendiquée par certains et volonté de respect accru des sensibilités individuelles ou collectives.

II. Contexte international : le rire et ses frontières dans le monde

II.1. Des situations juridiques variées selon les pays

La situation mondiale reste très contrastée en 2025. Dans de nombreux pays, la liberté d'expression, particulièrement humoristique, demeure sévèrement restreinte par des lois spécifiques sur le blasphème, la lèse-majesté ou la diffamation politique (Reporters sans frontières, 2023).

En ce qui concerne le blasphème, plusieurs pays imposent encore de lourdes sanctions à ceux qui tournent en dérision la religion dominante. Par exemple, au Pakistan, une simple accusation de blasphème peut conduire à des condamnations à mort ou à des violences populaires graves. Un cas tristement célèbre fut celui d'Asia Bibi, condamnée à mort en 2010 pour blasphème, avant d’être acquittée sous pression internationale en 2018 (Amnesty International, 2018). En Égypte, l'acteur humoristique Adel Imam fut condamné en 2012 (avant d’être acquitté en appel) à trois mois de prison pour avoir interprété des rôles jugés insultants envers l'islam, révélant à quel point la satire religieuse reste sensible, même dans certains pays relativement libéraux du monde arabe (Human Rights Watch, 2012).

Concernant la satire politique, des régimes comme celui de la Thaïlande continuent de pratiquer une censure stricte sous prétexte de lèse-majesté, protégeant la famille royale contre toute critique ou satire, sous peine de peines pouvant atteindre 15 ans de prison (Human Rights Watch, 2021). En Russie et en Chine, la satire politique ou la moquerie des dirigeants politiques entraînent souvent arrestations, censures, voire peines de prison. Ainsi, plusieurs humoristes russes critiques envers Vladimir Poutine ou la guerre en Ukraine ont été arrêtés ces dernières années pour « extrémisme » ou « discrédit de l’armée » (Le Monde, 2023).

A l’échelle mondiale, la possibilité de rire de tout est loin d’être garantie juridiquement et reste très dépendante des contextes culturels et politiques locaux.

II.2. Pays occidentaux : liberté juridique, mais pression sociale accrue

Dans les démocraties occidentales où la liberté d’expression est solidement ancrée dans la loi, les tensions autour des limites du rire existent. Aux États-Unis, par exemple, la liberté d’expression est protégée par le Premier amendement, autorisant même des formes extrêmes d’humour offensant. Cependant, la montée de la cancel culture – pratique consistant à boycotter ou ostraciser socialement des personnalités jugées offensantes – a restreint, de fait, la liberté humoristique dans certains contextes (Norris, 2021). Par exemple, en 2019, l’acteur et humoriste Kevin Hart dut renoncer à présenter la cérémonie des Oscars après la redécouverte d’anciens tweets jugés homophobes par l'opinion publique, illustrant comment la pression sociale limite l’humour, indépendamment de la légalité (New York Times, 2019). De même, la comédienne Roseanne Barr perdit brutalement son émission télévisée en 2018 après un tweet considéré comme raciste, illustrant une fois encore cette tension entre liberté juridique et pression morale (BBC, 2018).

Au Royaume-Uni, bien que la satire soit historiquement très présente, elle peut conduire à des condamnations judiciaires, comme ce fut le cas en 2018 lorsqu’un jeune Écossais fut condamné pour avoir diffusé une vidéo montrant son chien faisant le salut nazi, malgré sa défense selon laquelle il s’agissait d’une satire absurde (The Guardian, 2018). Cette affaire montre qu’en Occident, le rire peut également avoir des conséquences judiciaires lorsque les propos sont perçus comme franchissant certaines limites morales.

II.3. Humour mondialisé et réseaux sociaux : nouveaux risques

Un facteur clé qui complexifie encore la question à l’échelle mondiale en 2025 est l’impact croissant des réseaux sociaux. Grâce à internet, une satire locale peut désormais atteindre instantanément un public global, ce qui augmente considérablement les risques d'incompréhension culturelle et de réactions disproportionnées (John, 2017).

La crise internationale des caricatures danoises en est l'exemple le plus emblématique. Publiées initialement en 2005 par le journal danois Jyllands-Posten, ces caricatures représentant le prophète Muhammad (ﷺ) provoquèrent des émeutes, des violences et plusieurs centaines de morts à travers le monde musulman en 2006, montrant clairement à quel point une satire locale peut avoir des conséquences internationales dramatiques (Klausen, 2009). Lorsque ces mêmes caricatures furent republiées en France par Charlie Hebdo, l’impact fut tel qu’il aboutit finalement à l’attentat terroriste de janvier 2015, coûtant la vie à douze personnes, dont plusieurs dessinateurs satiriques (Frémion, 2020).

En outre, les réseaux sociaux favorisent aujourd’hui la décontextualisation de l’humour. Des propos satiriques ou ironiques tenus dans un cadre précis peuvent rapidement être extraits de leur contexte, mal interprétés, et provoquer des scandales médiatiques internationaux (Gazalé, 2021). Cela conduit souvent à une autocensure accrue chez les humoristes, conscients des risques liés à la viralité de leurs propos (Reporters sans frontières, 2023).

En 2025, malgré un cadre légal souvent favorable à l’humour dans de nombreuses démocraties, les nouvelles dynamiques de diffusion mondiale via les réseaux sociaux rendent la satire particulièrement sensible et risquée. Ce phénomène souligne que la liberté humoristique est désormais largement conditionnée par une opinion publique mondiale, aux sensibilités multiples et souvent conflictuelles.

III. Peut-on rire de tout en France en 2025 ? Situation contemporaine

III.A. Un cadre juridique français en 2025 : une liberté large mais encadrée

La France dispose aujourd’hui encore de l’un des cadres juridiques les plus libéraux au monde en matière de liberté d’expression et d’humour. Ce cadre repose principalement sur la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, considérée comme un pilier fondamental de la liberté d’expression en France. Cette loi permet explicitement la satire politique, religieuse et sociale, interdisant toute forme de censure préalable, mais impose certaines limites précises comme l’incitation à la haine, l’apologie du terrorisme ou la diffamation (Durupt, 2016).

Concernant la satire religieuse, la France reste fidèle au droit au blasphème : en 2018, la Cour de cassation a confirmé que tourner en dérision des symboles religieux relève pleinement de la liberté d’expression (Le Monde, 2018). Ce principe juridique fut réaffirmé après la tragédie de Charlie Hebdo, lorsque le gouvernement rappela que le droit au blasphème était une composante essentielle des valeurs républicaines (Gazalé, 2021).

Toutefois, le cadre juridique impose des limites à ce qui pourrait inciter explicitement à la haine ou à la violence. L’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala a été condamné à de multiples reprises. Ces condamnation montrent que la liberté humoristique n’est pas absolue dès lors qu’elle dépasse le cadre de la satire pour entrer dans celui de l'incitation à la haine ou à la violence (Durupt, 2016). Monsieur M'Bala M'Bala pose la question "Qui fixe la liberté d'expression ?". En tout cas ce n'est pas lui.

Ce cadre légal, qui distingue clairement satire légitime et propos jugés incitant à la haine, constitue ainsi un équilibre délicat, régulièrement réaffirmé par les tribunaux français qui veillent à préserver la liberté tout en sanctionnant les abus les plus flagrants (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

III.B. Évolution des sensibilités sociales : entre liberté revendiquée et nouvelles frontières du rire

Malgré une grande liberté juridique, la société française en 2025 est traversée par des débats récurrents concernant les limites morales ou éthiques de l'humour. Une enquête Ifop de 2024 montre ainsi que 62 % des Français considèrent qu’on ne peut pas rire de tout, chiffre qui n’a pratiquement pas évolué depuis dix ans (Ifop, 2024).

Les thèmes jugés les plus sensibles restent liés à des tragédies historiques, notamment la Shoah et génocides. Seulement 28 % des Français trouvent acceptable de plaisanter sur ces sujets (Fondation Jean-Jaurès, 2024). De même, le handicap ou les questions de pauvreté restent particulièrement sensibles, avec seulement un tiers des Français considérant qu’il est acceptable d'en rire (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

Plus de la moitié des Français jugent acceptable de rire des origines ethniques, reflet d’une évolution des mentalités liée à l’influence grandissante de l’humour anglo-saxon et des stand-uppers français qui pratiquent largement l’autodérision (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

Par ailleurs, une fracture générationnelle nette apparaît aujourd’hui : les moins de 35 ans, davantage sensibles aux notions de respect et d’inclusion, défendent une conception plus responsable et prudente de l'humour, contrairement aux générations plus âgées davantage attachées à la liberté totale de satire héritée des années 1970-1980 (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

III.C. Le rôle complexe des réseaux sociaux et la pression de l’opinion publique

Les réseaux sociaux ont considérablement accentué les tensions autour de l’humour en France. Chaque polémique peut désormais prendre une ampleur immédiate et considérable, exposant les humoristes à des vagues de critiques ou de soutien massifs, souvent polarisées (Gazalé, 2021).

Plusieurs affaires récentes illustrent ce phénomène. Par exemple, un sketch diffusé en 2020 dans l'émission On ne demande qu’à en rire sur France 2, jugé transphobe par certains internautes, a provoqué une vive polémique, entraînant des excuses publiques des producteurs (Le Parisien, 2020). De même, l'humoriste Mimie Mathy a publiquement dénoncé en 2022 l'humour discriminatoire dont elle se sentait victime, relançant un débat sur l’éthique humoristique liée au handicap et à la grossophobie (France Inter, 2022). A cet instant, je me pose la question de savoir la pertinence de citer TSR qui affirme "viser la lune comme Mimie Mathy dans un concours de dunk".

Cette pression sociale conduit parfois les humoristes ou les éditeurs à l’autocensure préventive. Ainsi, le dessinateur Plantu a confié récemment avoir renoncé à certaines caricatures trop ambiguës, anticipant leur mauvaise interprétations potentielles sur les réseaux sociaux (France Culture, 2023). Yves Frémion (2020), spécialiste de l’histoire de la caricature, a quant à lui noté que les rédactions des grands journaux publient désormais des caricatures beaucoup plus prudentes qu’avant, par peur des polémiques (en ligne notamment).

Cette pression sociale ne signifie pas la disparition de l’humour corrosif, mais elle le pousse souvent vers des espaces alternatifs ou plus confidentiels (Gazalé, 2021). L’exemple de Charlie Hebdo, qui travaille désormais dans des conditions de sécurité extrêmement strictes, sous surveillance policière constante, symbolise cette tension entre une liberté revendiquée et les risques associés (Frémion, 2020).

IV. Rire en famille ou entre amis : comment préserver l’humour tout en respectant les sensibilités (2025)

En dehors de la sphère publique, l’humour conserve une place fondamentale dans les relations familiales et amicales. Pourtant, même dans ces cadres intimes, la question de savoir de quoi il est acceptable ou non de rire demeure pertinente, surtout dans une société française devenue plus attentive aux sensibilités individuelles (Gazalé, 2021).

IV.1. Le rire comme vecteur essentiel du lien social

Selon la psychologue Sophie Scott (2019), l’humour constitue un puissant vecteur de lien social et de cohésion émotionnelle au sein des groupes proches tels que la famille ou les amis. Le rire partagé renforce le sentiment d’appartenance, permet d’apaiser les tensions et contribue à la construction d’une identité collective. En France, 92 % des individus estiment que « rire ensemble est indispensable pour créer et maintenir des liens solides » dans leur cercle proche (Ifop, 2023).

Le sociologue David Le Breton (2021) souligne aussi que l’humour partagé dans l’intimité permet de gérer les émotions négatives, la tristesse ou l’angoisse. Faire rire l’autre en famille ou entre amis aide souvent à dépasser collectivement des situations difficiles ou stressantes, ce qui explique pourquoi l’humour est souvent utilisé pour « alléger » les sujets graves ou délicats dans la sphère privée.

IV.2. L’importance du contexte et de la confiance

Cependant, même dans ces cercles privés, le contexte relationnel est crucial pour déterminer les limites du rire. Comme le rappelait Pierre Desproges (1982), « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ». Autrement dit, le degré de proximité, la confiance mutuelle ou la sensibilité de chacun sur différents sujets, déterminent fortement les sujets qui peuvent être abordés sous forme humoristique sans risquer de blesser ou de provoquer des malentendus.

Selon la psychologue clinicienne Ariane Calvo (2020), les limites du rire sont souvent définies implicitement au sein de chaque groupe familial ou amical : « La connaissance intime de l’autre permet souvent d’évaluer intuitivement ce qui est acceptable ou non, mais ce contrat implicite n’est pas infaillible. » Ainsi, une blague qui aurait été bien reçue dans un certain contexte peut devenir problématique dans un autre, par exemple après un changement de circonstances personnelles (maladie, séparation, deuil).

IV.3. Les sujets les plus sensibles dans l’espace privé en 2025

Même si l’espace privé permet généralement une liberté humoristique plus grande qu’en public, certaines limites restent importantes à prendre en compte, particulièrement en 2025, époque marquée par une plus grande attention aux sensibilités individuelles. Selon une enquête Ifop (2024), même dans le cadre intime :

  • La maladie, le handicap et la mort restent des sujets particulièrement sensibles. Seuls 32 % des Français déclarent accepter de rire de ces thèmes même en privé.

  • Les différences culturelles ou ethniques, bien que souvent abordées avec humour en cercle restreint, exigent désormais une attention accrue à la sensibilité des personnes concernées. 57 % des personnes interrogées déclarent aujourd’hui éviter ce type de blague s’ils craignent qu’elle puisse offenser quelqu’un dans leur entourage proche (Fondation Jean-Jaurès, 2024).

  • Les questions d’orientation sexuelle ou d’identité de genre ont également acquis un caractère sensible, particulièrement pour les jeunes générations très sensibilisées à ces enjeux. Ainsi, 64 % des moins de 30 ans se disent aujourd’hui attentifs à éviter l’humour pouvant blesser les minorités sexuelles ou de genre, même dans la sphère intime (Ifop, 2024).

IV.4. Quelques recommandations pratiques pour rire ensemble, sans blesser

Dans ce contexte, comment préserver l’humour tout en évitant les tensions ou les blessures émotionnelles involontaires ? Plusieurs spécialistes apportent quelques recommandations pratiques :

  • Être attentif à la réaction de l’autre : le psychologue Christophe André (2020) conseille d’observer attentivement les signaux émotionnels (regards, sourires forcés, silence) qui indiquent si la personne concernée est réellement à l’aise avec la plaisanterie ou non.

  • Pratiquer l’autodérision en priorité : selon la psychologue Ariane Calvo (2020), l’autodérision reste une forme d’humour souvent très appréciée parce qu’elle témoigne d’une certaine humilité et évite de pointer l’autre comme cible.

  • Savoir s’excuser sincèrement en cas de maladresse : l’important n’est pas tant d’éviter toute erreur que d’être capable de reconnaître rapidement une maladresse et d’exprimer clairement ses excuses afin de rétablir la confiance (Le Breton, 2021).

En résumé, rire de tout en famille ou entre amis en 2025 reste possible, à condition d’être particulièrement attentif à l’autre, aux évolutions de sa sensibilité personnelle. Loin d’être une contrainte, cette vigilance permet souvent de renforcer encore davantage les liens affectifs en faisant du rire un outil de communication véritablement positif dans la sphère privée.

Conclusion

La question « Peut-on rire de tout en France en 2025 ? » révèle à quel point l’humour demeure un sujet complexe, traversant toutes les époques, les cultures et les contextes sociaux. Comme nous l’avons vu, la France, riche d’une longue tradition satirique allant de Molière à Charlie Hebdo, bénéficie encore aujourd’hui d’un cadre juridique parmi les plus libéraux au monde (Durupt, 2016). Cependant, cette liberté juridique, fruit d’une histoire mouvementée et marquée par des combats intellectuels et politiques, ne signifie pas pour autant l’absence totale de limites.

En effet, comme le soulignait déjà Pierre Desproges (1982), « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ». Cette formule synthétise la réalité complexe et nuancée du rire en France en 2025 : la liberté, si elle est protégée juridiquement, se heurte à des limites morales, sociales et culturelles, fluctuantes en fonction du contexte, de l’intention et du public auquel s’adresse l’humour (Gazalé, 2021).

Les débats réguliers, les polémiques médiatiques et les études d’opinion récentes montrent que l’humour demeure un puissant révélateur des tensions, des inquiétudes et des transformations sociales en cours dans la société (Fondation Jean-Jaurès, 2024). La montée en puissance des réseaux sociaux, la globalisation des échanges culturels et les attentes accrues en matière de respect des sensibilités individuelles renforcent l’idée selon laquelle, si rire de tout reste théoriquement possible, cela exige une responsabilité individuelle des humoristes comme du public.

Même dans les relations familiales et amicales, où l’humour constitue un pilier essentiel du lien social, la nécessité d’une attention fine aux sensibilités personnelles se fait ressentir (Calvo, 2020). Loin d’être synonyme de censure ou de renoncement, cette attention mutuelle contribue à faire du rire un moyen d’expression véritablement rassembleur, vecteur de cohésion et d’épanouissement émotionnel (Le Breton, 2021).

En définitive, la réponse à la question initiale pourrait être résumée ainsi : en France, en 2025, on ne peut pas rire de tout en droit, tout dépend du contexte, de la manière dont le rire est employé, du jugement de son intention profonde et surtout du respect que chacun accorde à la sensibilité de l’autre (Gazalé, 2021). Ce délicat équilibre entre liberté et responsabilité permet au rire de continuer à jouer pleinement son rôle essentiel : celui d’être un espace de résistance, de réflexion, mais aussi de partage, d’empathie et de bienveillance.