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Skull and bones (crâne et os)
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I.Origines et fondation (1832)
II.Fonctionnement interne
III.Recrutement et profils des membres
IV.Réseau et influence
V.Controverses historiques
VI.Théories du complot
Parmi les sociétés secrètes les plus connues et les plus énigmatiques des États-Unis, Skull and Bones occupe une place singulière. Fondée en 1832 à l’Université Yale, cette organisation élitiste, discrète et volontairement opaque a vu défiler dans ses rangs plusieurs figures majeures de l’histoire américaine, parmi lesquelles trois présidents des États-Unis (William Howard Taft, George H. W. Bush et George W. Bush), des sénateurs influents, des juges de la Cour suprême, ainsi que de nombreux banquiers et décideurs économiques.
Le nom même de la société, littéralement « Crâne et Os », évoque à la fois un héritage mystérieux, un goût prononcé pour le symbolisme funèbre, et une tradition de rituels occultes supposés. Le bâtiment qui l’abrite à Yale, surnommé The Tomb, ne possède aucune fenêtre visible, et les récits de cérémonies initiatiques tenues dans ses murs — souvent relayés par d’anciens membres ou des journalistes — alimentent autant la fascination que la spéculation. Certains y voient une simple confrérie étudiante conservatrice ; d’autres y détectent l’embryon d’un gouvernement parallèle, agissant dans l’ombre pour influencer les décisions politiques et économiques majeures.
Depuis les années 1980, Skull and Bones est aussi devenue un objet de controverse publique, à la fois pour son culte du secret, son recrutement exclusif, et son rôle supposé dans de grandes affaires historiques. Des affaires comme celle du crâne du chef amérindien Geronimo, que l’ordre est accusé de conserver illégalement dans ses locaux, ont suscité des poursuites judiciaires et relancé l’intérêt médiatique (voir New York Times, février 2009). Dans un autre registre, la littérature conspirationniste — d’Antony C. Sutton à William Cooper — a largement contribué à en faire un symbole moderne de l’élite globale, parfois relié aux Illuminati.
Entre faits avérés, témoignages indirects, zones d’ombre et interprétations extrêmes, que sait-on réellement de Skull and Bones ? Peut-on démêler l’histoire documentée de la légende ? L’influence est-elle fondée sur des réseaux d’anciens ou relève-t-elle du fantasme collectif ? Que nous dit cette société secrète de notre rapport contemporain au pouvoir, à la méritocratie, au secret ?
Ce présent article propose une exploration rigoureuse, sourcée et accessible, de tout ce qui est pertinent sur Skull and Bones. Il vise à présenter les faits, sans cautionner ni ridiculiser aucune croyance. Les théories seront exposées avec neutralité, leurs sources et niveaux de fiabilité précisés, dans le but de respecter la parole de chacun tout en apportant le contexte historique et critique nécessaire.
I. Origines et fondation (1832)
I.1. Contexte universitaire et inspiration étrangère
Skull and Bones a été fondée en 1832, à Yale University, dans un contexte de forte compétition entre sociétés étudiantes. À l’époque, les sociétés d’honneur comme Phi Beta Kappa dominaient la vie intellectuelle sur les campus, mais suscitaient également critiques et rivalités. D’après l’historienne Alexandra Robbins (Secrets of the Tomb), c’est à la suite d’un conflit électoral interne au sein de Phi Beta Kappa que deux étudiants, William Huntington Russell et Alphonso Taft, décidèrent de créer une nouvelle société, plus exclusive, plus hiérarchisée, et surtout plus secrète.
William H. Russell revenait d’un séjour d’étude en Allemagne, où il avait observé le fonctionnement des Burschenschaften, associations étudiantes à l’organisation semi-maçonnique, influencées par les Illuminés de Bavière, les mouvements romantiques et parfois les sociétés occultes du XVIIIᵉ siècle. Russell aurait souhaité transposer à Yale une forme de société de l’élite intellectuelle, mêlant symbolisme, rituel, solidarité interne et discrétion absolue. Le projet séduit Alphonso Taft, futur procureur général des États-Unis et père du président William Howard Taft, qui deviendra lui-même membre de l’ordre quelques décennies plus tard (promotion 1878).
La société est officiellement fondée par 15 membres initiaux, appelés la « Class of 1832 ». Elle prend le nom de The Order of the Skull and Bones, ou plus simplement « The Order », et se structure immédiatement autour de codes et symboles distinctifs.
I.2. Symboles et références : le crâne, les os et le nombre 322
Le symbole principal adopté dès la fondation est un crâne humain surmontant deux os croisés, très proche du pavillon pirate traditionnel (Jolly Roger), bien que sa signification ici soit plus complexe. Ce symbole est affiché sur les documents internes, gravé sur la porte du siège, et omniprésent dans le rituel initiatique. Il incarne à la fois la mort symbolique de l’ego et la renaissance dans une nouvelle fraternité, selon plusieurs témoignages internes cités dans The Yale Book of Quotations (Fred R. Shapiro, 2006).
Sous ce symbole apparaît systématiquement le chiffre 322. Ce nombre a donné lieu à de nombreuses spéculations. L’explication jugée la plus plausible, reprise notamment par Antony Sutton (America’s Secret Establishment, 1983) et confirmée par Alexandra Robbins, est que 322 fait référence à l’année 322 av. J.-C., date de la mort de l’orateur athénien Démosthène. Cet événement marque la fin de la démocratie athénienne, remplacée par une oligarchie, ce qui résonne fortement avec l’élitisme revendiqué de l’ordre. D’autres hypothèses ont circulé : le 322 serait le numéro d’ordre de la société dans une lignée européenne secrète ; ou encore, selon certains cercles conspirationnistes, une référence codée aux Illuminati ou à la loge « 322 » d’Angleterre. Mais aucune preuve n’appuie ces interprétations alternatives.
I.3. Premiers développements et légitimation juridique
Skull and Bones devient rapidement la première société secrète à Yale, précédant Scroll and Key (1842) et Wolf’s Head (1883). Elle développe très tôt une structure de gouvernance autonome : en 1856, Russell fonde la Russell Trust Association, une entité juridique destinée à gérer les actifs de l’ordre, dont le siège et les fonds d’investissement. Cette entité existera encore des décennies plus tard, détenant entre autres le bâtiment du Tombeau (The Tomb) et l’île privée Deer Island dans le fleuve Saint-Laurent, utilisée pour les retraites estivales.
Selon le Connecticut General Assembly Record de 1943, la Russell Trust Association obtint même à cette époque une dérogation spéciale à l’obligation de déposer ses rapports financiers à l’État, privilège rarissime renforçant encore le caractère secret de la société.
En termes d’activité, la société fonctionne sur un cycle annuel. Chaque promotion (appelée Class) est composée de 15 membres, choisis en fin de troisième année. Dès le départ, la taille réduite et l’exclusivité des recrutements confèrent à Skull and Bones un prestige particulier sur le campus. Le nom des membres est d’ailleurs publié chaque année dans le Yale Banner jusqu’en 1971, preuve que l’identité des initiés n’a pas toujours été confidentielle — le secret portait davantage sur les rituels que sur l’appartenance.
I.4. Perception publique au XIXᵉ siècle
Dès les années 1850–1860, Skull and Bones acquiert une réputation ambiguë : société de l’élite pour les uns, cercle de jeunes privilégiés arrogants pour les autres. En 1871, un article du Yale Literary Magazine décrit Skull and Bones comme une organisation « entourée de mystère, provoquant autant la fascination que la suspicion » (cité par Robbins). En 1873, un ancien étudiant publie sous pseudonyme une brochure intitulée An Eulogy on the Order of the Skull and Bones, où il accuse l’ordre d’exercer une influence antirépublicaine sur Yale et ses étudiants, montrant que les inquiétudes quant à son rôle sont anciennes.
Néanmoins, Skull and Bones prospère. À la fin du XIXᵉ siècle, son influence dépasse largement le campus, et de nombreux membres deviennent figures majeures du droit, de la politique, de la finance et de la presse. Ce succès n'est pas encore perçu comme problématique — mais il prépare les critiques qui émergeront au XXᵉ siècle.
II. Fonctionnement interne
Le fonctionnement interne de Skull and Bones repose sur une combinaison d’élitisme assumé, ritualisme théâtral, fidélité mutuelle, et un secret institutionnalisé qui a traversé les générations. Si la plupart des sources s’accordent à dire que Skull and Bones n’est pas une secte, ni une organisation religieuse ou politique au sens strict, elle n’en reste pas moins un club aux pratiques très codifiées, mêlant rites de passage, symbolisme morbide et sociabilité structurée.
II.1. Le bâtiment : “The Tomb”
Le siège de Skull and Bones, surnommé The Tomb, est situé au 64 High Street, à Yale, New Haven (Connecticut). C’est un édifice austère en pierre grise, sans fenêtres visibles, construit en 1856 et agrandi plusieurs fois (notamment en 1903 et 1912) selon un style mêlant architecture égyptienne, néogothique et dorique, décrit par le Yale Alumni Magazine (juin 2000).
Alexandra Robbins, dans Secrets of the Tomb, le décrit comme « un mausolée à l’allure volontairement menaçante, destiné à impressionner les profanes ». L’intérieur serait décoré d’objets insolites : crânes humains (ou en plâtre), bougies noires, artefacts volés, symboles occultes, portraits de membres, et même une salle appelée “The Inner Temple”, sanctuaire de la cérémonie d’initiation (Robbins, 2002). Selon Ron Rosenbaum, journaliste d’investigation et ancien étudiant de Yale, certaines pièces sont tapissées de tentures rouges, d’autres de peintures satiriques, de devises latines et de photos de promotion aux poses macabres (Esquire, avril 1977).
II.2. Les rituels d’initiation : entre théâtre et confession
Les rituels d’initiation, organisés chaque printemps, sont parmi les éléments les plus controversés — non pas pour leur dangerosité, mais pour leur caractère théâtral et leur ambiance pseudo-occultiste. Selon plusieurs témoignages recueillis par Robbins et Rosenbaum, les nouveaux membres (appelés « knights » ou « neophytes ») sont introduits un par un dans The Tomb pour une mise en scène dramatique.
La cérémonie impliquerait des membres déguisés en personnages symboliques : Don Quichotte, le Pape, le Diable, Uncle Toby, et Eulogia — cette dernière étant une divinité fictive inventée par l’ordre, censée représenter l’éloquence ou la sagesse (Eulogia, goddess of eloquence, selon Robbins). Chaque rôle est joué par un senior portant toge et masque, dans une ambiance ritualisée et bruyante.
Un des moments clés de l’initiation est appelé “Connubial Bliss” (CB) : les nouveaux initiés sont invités à partager à voix haute leurs expériences personnelles les plus intimes, notamment leur vie amoureuse, sexuelle et familiale. Loin d’un rituel humiliant, cet exercice serait — selon d’anciens membres interrogés anonymement dans Time Magazine (2004) — un moment de vérité et de vulnérabilité volontaire, destiné à créer un lien fort entre membres fondé sur la confiance.
Le serment de confidentialité, prêté sur une ancienne relique, interdit formellement aux membres de révéler quoi que ce soit des rites internes. Le non-respect du silence est perçu comme une trahison grave — ce qui explique le peu de témoignages directs disponibles.
II.3. Surnoms, hiérarchie et langage codé
Chaque promotion attribue à ses membres des pseudonymes rituels, souvent tirés de la mythologie, de la littérature ou de la famille du membre. Le membre le plus respecté ou influent prend souvent le nom de Magog (comme George H. W. Bush, promotion 1948), et un autre celui d’Eulogia. Le membre le plus petit en taille est surnommé Little Devil, selon les conventions décrites par Ron Rosenbaum.
Les communications entre membres — même après Yale — utilisent parfois ces surnoms, renforçant la continuité de l’ordre au-delà du campus. Une tradition veut aussi que les horloges internes au bâtiment soient avancées de 5 minutes, selon le "Bones Time", symbole du fait que Skull and Bones « vit en avance sur le reste du monde » (Yale Daily News, 2000).
II.4. Vie de groupe et rituels hebdomadaires
Skull and Bones ne se réunit pas seulement pour l’initiation. Les membres d’une même promotion se retrouvent deux fois par semaine, généralement jeudi et dimanche soir, pour des séances collectives dans The Tomb. Selon Robbins, chaque soirée suit un déroulement structuré :
Dîner commun dans la « Salle des Lucioles »
Hearing of Excuses, sorte de tribunal amical où les retards, fautes ou maladresses sont sanctionnés symboliquement
Conférences internes où chacun parle de soi, partage ses projets ou expose des idées
Présentations autobiographiques appelées Life Histories, où chaque membre raconte sa vie en détail à ses pairs
Ces sessions visent à renforcer la solidarité du groupe et à créer un espace sécurisé où chacun peut se livrer sans peur de jugement ou de diffusion extérieure.
II.5. Objets symboliques et pratiques rituelles : le “crooking”
Une tradition ancienne mais bien documentée est le “crooking”, terme désignant des vols symboliques ou rituels. À l’époque du XIXᵉ siècle, les membres étaient encouragés à subtiliser (parfois dans des musées ou institutions rivales) des objets rares ou insolites : crânes, livres anciens, pièces de monnaie, plaques commémoratives. Ces trophées étaient ensuite exposés dans le Tomb comme marques d’audace.
Ron Rosenbaum, dans son enquête publiée dans Esquire, affirme avoir vu des crânes humains, des manuscrits anciens et une urne votive taillée dans un véritable crâne. En 2001, une maison de ventes aux enchères à New York (Christie’s) proposa un crâne servant de boîte de vote, daté de 1872, étiqueté « THOR », accompagné d’un carnet noir portant le chiffre 322 (source : Washington Post, mars 2001). La vente fut annulée in extremis, sur pression d’anciens membres.
Une autre légende, encore plus célèbre, prétend que le crâne du chef apache Geronimo aurait été dérobé et conservé dans le bâtiment. Nous reviendrons longuement sur cette affaire dans la section V.
II.6. Fin d’année : sortie rituelle et ascension symbolique
À la fin de l’année universitaire, les membres organisent une “Sortie du Tombeau”, souvent sous forme d’une mise en scène théâtrale ou d’un bal masqué. C’est un passage vers l’âge adulte, où chaque knight devient un “patriarch”, membre à vie du réseau.
Ce réseau est ensuite entretenu par des retrouvailles annuelles, notamment sur Deer Island, île privée appartenant à la Russell Trust, où des dîners, discours et échanges entre générations de Bonesmen sont organisés (Alexandra Robbins, 2002 ; New York Observer, 2004). Certains décrivent cette île comme un lieu de transmission et de mentorat, à mi-chemin entre retraite élitiste et camp scout secret.
II.7. Discrétion et contrôle de l’image publique
Depuis les années 1980, la société a progressivement renforcé sa discrétion institutionnelle :
Les nouveaux membres ne sont plus annoncés publiquement (depuis 1971)
L’accès au bâtiment est strictement interdit
L’ordre ne répond jamais officiellement à la presse
Aucune présence en ligne ou dans les réseaux sociaux, contrairement à d’autres clubs universitaires
Toute personne brisant le silence est marginalisée. Certains anciens membres, comme l’auteur William Sloane Coffin (Bonesman de 1946, aumônier célèbre de Yale), ont publiquement regretté leur appartenance à une société si fermée — mais ils restent minoritaires.
III. Recrutement et profils des membres
La sélection des membres de Skull and Bones est l’un des aspects les plus révélateurs de son fonctionnement. Depuis 1832, l’ordre n’admet chaque année que quinze étudiants de Yale, choisis en fin de troisième année (junior year) pour intégrer la promotion suivante (senior year). Ce nombre, inchangé depuis près de deux siècles, témoigne d’une volonté de cohésion, stabilité et exclusivité.
III.1. Le “Tap Day” : rituel public d’un choix secret
La sélection annuelle a lieu lors du “Tap Day”, rituel emblématique du campus de Yale. Ce jour-là, les sociétés secrètes de l’université sortent symboliquement de l’ombre pour annoncer leurs recrues.
Durant Tap Day (généralement en avril), des membres en activité de chaque société tapent l’épaule de leurs futurs membres en public, sur la pelouse de Old Campus. À l’instant du “tap”, le recruteur prononce simplement : “Skull and Bones. Do you accept?”.
Si l’étudiant accepte (ce qui est quasi systématique), il rejoint l’ordre pour son année senior. Selon le Yale Alumni Magazine (2000), les sélections sont préparées en amont par des entretiens discrets et des observations menées par les membres en cours sur leurs camarades de promotion.
III.2. Critères traditionnels de sélection : élite et influence
Historiquement, Skull and Bones a été une fabrique d’élite WASP (White Anglo-Saxon Protestant), cherchant des profils perçus comme leaders naturels du campus.
Au XIXᵉ et début XXᵉ siècle, les Bonesmen provenaient presque exclusivement de familles aisées de la côte Est, diplômés de prestigieuses preparatory schools (St. Paul’s, Andover, Exeter). Les membres étaient souvent :
Présidents d’associations étudiantes
Capitaines d’équipes sportives (notamment football et rowing)
Rédacteurs du Yale Daily News
Enfants de sénateurs, gouverneurs, diplomates
Un annuaire Yale de 1968 indiquait ironiquement que Skull and Bones cherchait chaque année à réunir “le président du gouvernement étudiant, le major de promotion, un quarterback vedette, un orateur, deux membres de familles politiques, un ou deux hommes de théâtre et le capitaine de l’équipe de crosse”.
Cette tradition visait à bâtir une promotion hégémonique, couvrant l’ensemble des sphères d’influence du campus. Le New York Times (édition du 27 avril 1991) parle d’un « gouvernement étudiant de l’ombre », où chaque Bonesman incarne un pilier de la vie universitaire.
III.3. Lente ouverture à la diversité raciale, sociale et religieuse
Le modèle WASP exclusif commence à se fissurer dans les années 1960. En 1965, Skull and Bones admet son premier membre afro-américain, alors que Yale elle-même commençait tout juste à diversifier son recrutement. Le processus est lent, mais progressif. Dans les années 1970 :
Des étudiants juifs, catholiques, puis athées sont admis
En 1975, un activiste du mouvement LGBTQ+ de Yale est initié
Plusieurs étudiants issus de milieux modestes intègrent l’ordre via les bourses (need-blind admissions)
Toutefois, jusqu’aux années 1990, une majorité des initiés reste issue de l’élite socio-économique traditionnelle, selon Robbins. Le club cultive une image méritocratique mais reste lié aux cercles familiaux influents — une forme de cooptation durable.
III.4. L’affaire de l’admission des femmes (1991–1992)
Le tournant majeur survient au début des années 1990, lorsque la question de l’admission des femmes provoque l’une des plus grandes crises internes de l’histoire de Skull and Bones.
Jusqu’alors exclusivement masculin (comme Yale jusqu’en 1969), l’ordre commence à se diviser. En 1991, les membres seniors de l’année en cours décident, à la majorité, de taper 7 femmes dans la nouvelle promotion. Ils estiment que l’ordre doit évoluer avec la société et que l’exclusion féminine n’est plus tenable.
Mais cette décision déclenche une opposition féroce des “patriarchs”, les anciens membres, très influents financièrement. Menés par le célèbre intellectuel conservateur William F. Buckley Jr. (Bonesman 1950), ils dénoncent une trahison des traditions et menacent de poursuites. Selon le Wall Street Journal (30 avril 1991), la Russell Trust Association change même les serrures du Tomb pour empêcher les réunions mixtes, bloquant l’accès aux étudiants en activité.
Le conflit monte jusqu’au vote. En 1992, les anciens membres procèdent à un référendum interne. Résultat : 368 pour l’admission des femmes, 320 contre. L’ordre est officiellement ouvert à toutes et à tous dès la promotion de 1992 (New York Times, 24 septembre 1991). Depuis, de nombreuses femmes ont rejoint Skull and Bones, dont certaines figures montantes de la politique, des médias ou des affaires.
III.5. Composition actuelle : vers une élite plus diversifiée ?
Au fil du temps, Skull and Bones a adopté une approche plus inclusive, notamment à partir des années 2000 :
Parité homme/femme atteinte dans plusieurs promotions récentes
Diversité ethnique croissante (en 2020, selon Yale Daily News, la majorité des 15 membres étaient non-blancs)
Représentation de la communauté LGBTQ+, de militants sociaux, d’étudiants en première génération universitaire
Cependant, cette diversité ne signifie pas disparition de l’élitisme. Les profils choisis restent souvent exceptionnels sur le plan académique, sportif, ou en leadership. Le pedigree familial demeure valorisé dans les cercles internes : fils ou filles d’anciens Bonesmen sont régulièrement recrutés, parfois dès le lycée.
Le sociologue Michael P. Young, auteur de The Rise of the Meritocracy (1958), aurait vu dans cette évolution un exemple parfait de “méritocratie néo-héréditaire” : une élite fondée à la fois sur le mérite perçu et la transmission cachée du pouvoir.
III.6. Le rôle du réseau dans la sélection
Un autre facteur décisif est l’existence d’un réseau informel d’observation sur le campus. Les membres en cours consultent d’anciens, échangent avec d’autres sociétés, assistent aux événements culturels ou sportifs de Yale pour repérer des candidats. Ils dressent des listes d’étudiants prometteurs, discutent de leur comportement, leur charisme, leur loyauté potentielle. Ce processus se déroule sur plusieurs mois, dans une logique de cooptation silencieuse mais stratégique.
Selon Ron Rosenbaum (Esquire, 1977), des membres anciens contactent parfois les futurs candidats avant même le Tap Day pour leur “suggérer de rester disponibles” ou “de ne pas accepter une autre société” — preuve que le recrutement est aussi affaire de diplomatie interne.
III.7. Que signifie “être choisi” ?
Pour de nombreux étudiants, être “tapé” par Skull and Bones représente une consécration symbolique. Dans l’environnement très compétitif de Yale, cela équivaut à un adoubement, une validation ultime de ses qualités de leadership.
Mais pour d’autres, ce choix suscite gêne ou refus. Certains étudiants refusent d’entrer dans Skull and Bones (ce qui reste rare) pour des raisons éthiques, politiques ou de préférence pour une autre société (comme Scroll & Key ou Manuscript). En 2001, un article du Yale Herald rapportait qu’un étudiant militant pour la transparence des sociétés secrètes avait décliné l’invitation de Bones, préférant “ne pas devoir jurer silence à vie”.
IV. Réseau et influence
La société Skull and Bones ne se contente pas d’initier ses membres durant leur année senior à Yale. Elle construit ce que beaucoup qualifient de réseau intergénérationnel d’élite, opérant bien au-delà du campus, dans les cercles du pouvoir politique, économique, diplomatique et médiatique aux États-Unis et parfois au-delà.
Contrairement à une idée reçue, Skull and Bones n’impose pas un programme politique, ni n’agit comme un groupe de lobbying structuré. Mais les relations créées à Yale entre membres de différentes promotions permettent une entraide, une cooptation et une loyauté réciproque durable. Ce mécanisme, fondé sur l’« ancienneté initiatique » et le secret partagé, confère à l’ordre un pouvoir informel parfois décrit comme une “méritocratie fermée”.
IV.1. Présidents, sénateurs, juges : une élite issue de Bones
Il est indéniable que Skull and Bones a produit un nombre remarquable de figures de premier plan de l’histoire politique des États-Unis. Parmi les plus notables :
William Howard Taft (promotion 1878), président des États-Unis (1909–1913), puis président de la Cour suprême — seul individu à avoir occupé ces deux postes.
George H. W. Bush (promotion 1948), président (1989–1993), ancien directeur de la CIA, vice-président de Ronald Reagan.
George W. Bush (promotion 1968), président (2001–2009), qui déclara à propos de Bones : « It’s so secret I can’t talk about it. » (NBC, 2004).
John Kerry (promotion 1966), sénateur démocrate du Massachusetts, candidat à la présidentielle en 2004, secrétaire d’État sous Barack Obama.
En 2004, l’élection présidentielle opposait donc deux membres de Skull and Bones, Bush et Kerry — fait sans précédent. Lors d’un passage sur Meet the Press (NBC), Tim Russert demanda à Kerry : « You both were members of Skull and Bones, the secret society at Yale. What does that tell us? » Kerry répondit : « Not much, because it’s a secret. »
Parmi les autres Bonesmen notables en politique :
Austan Goolsbee (économiste en chef d’Obama)
Robert McCallum Jr. (ambassadeur)
David Boren (ancien sénateur et gouverneur de l’Oklahoma)
IV.2. Bones et services de renseignement
L’idée que Skull and Bones entretiendrait des liens étroits avec les services secrets américains, en particulier la CIA, revient souvent dans les discours critiques ou conspirationnistes.
Il est vrai que plusieurs fondateurs ou directeurs du renseignement sont issus de l’ordre :
William F. Buckley Jr. (Bones 1950), qui a brièvement travaillé pour la CIA avant de fonder National Review, revue d’influence conservatrice.
James Jesus Angleton (Bones 1941), chef du contre-espionnage à la CIA (1954–1975), personnalité centrale de la guerre froide.
George H. W. Bush, déjà cité, a dirigé la CIA en 1976–77.
Cependant, comme le souligne Alexandra Robbins, « il serait exagéré de dire que la CIA est dirigée par Skull and Bones », bien que certains postes clés aient été occupés par des Bonesmen au XXᵉ siècle (Secrets of the Tomb, chap. 9). L’influence semble reposer davantage sur des contacts personnels que sur une stratégie occulte coordonnée.
IV.3. Influence dans les affaires, les banques et les médias
Le secteur privé n’est pas en reste. Skull and Bones a également produit une impressionnante série de milliardaires, investisseurs, éditeurs de presse et chefs d’entreprise, dont :
Henry Luce (promotion 1920), fondateur de Time, Life, Fortune et Sports Illustrated. Il est souvent considéré comme l’un des bâtisseurs de la culture médiatique américaine moderne.
Harold Stanley (1908), cofondateur de Morgan Stanley, l’une des plus grandes banques d’investissement au monde.
William H. Donaldson (1953), fondateur de Donaldson, Lufkin & Jenrette, président de la SEC (Securities and Exchange Commission).
Stephen A. Schwarzman (1969), cofondateur et PDG du fonds d’investissement Blackstone, un des plus grands au monde.
Frederick W. Smith (1966), fondateur de FedEx.
Le point commun de ces figures : l’appartenance à une promotion de Skull and Bones, et parfois, une collaboration entre Bonesmen dans les premiers tours de table ou les conseils d’administration.
Dans la presse, on trouve également :
David McCullough (1955), historien et biographe primé, figure éminente du documentaire historique américain.
Evan Thomas (1973), ancien rédacteur en chef adjoint de Newsweek.
IV.4. Cooptation, mentorat et entre-soi
Loin d’être une simple camaraderie d’anciens élèves, le réseau Skull and Bones est activement entretenu. Selon Ron Rosenbaum (Esquire, 1977), de nombreux Bonesmen restent en contact, participent à des retraites sur Deer Island (île privée appartenant à la Russell Trust Association), et s’aident mutuellement à accéder à des postes stratégiques.
Plusieurs sources internes, citées par Alexandra Robbins, confirment que :
Des offres d’emploi circulent entre membres via des canaux privés.
Des anciens proposent du mentorat personnalisé aux jeunes diplômés.
Les contacts Bonesmen dans des cabinets d’avocats, à Wall Street ou à Washington peuvent ouvrir des portes fermées au commun des mortels.
Un cas emblématique : George W. Bush, à sa sortie de Yale, obtint son premier emploi grâce à la recommandation d’un Bonesman senior, dans une société pétrolière du Texas. Ce piston discret mais efficace est un élément clé du fonctionnement du réseau.
IV.5. Une influence informelle, pas une organisation de contrôle
Contrairement à certaines théories complotistes, Skull and Bones ne dispose pas de statuts ou d’objectifs politiques après Yale. L’ordre n’est pas une structure hiérarchique fonctionnelle une fois les membres diplômés.
Selon Robbins : « Le pouvoir de Skull and Bones ne repose pas sur un commandement vertical, mais sur une fraternité invisible basée sur la confiance, la loyauté et l’héritage partagé. » (Secrets of the Tomb, chap. 10)
Autrement dit, il ne s’agit pas d’un “gouvernement secret”, mais d’un réseau social de très haut niveau, où chaque membre sait qu’il pourra être aidé – ou aider – à condition de respecter les règles de silence et de loyauté.
IV.6. Le poids des symboles : cooptation ou mérite ?
La question centrale reste celle de l’influence réelle vs influence perçue. Plusieurs critiques de l’ordre, comme l’historien Antony C. Sutton, soutiennent que Skull and Bones contribue à créer une élite auto-reproductrice, qui verrouille l’accès aux postes clés de la société américaine (America’s Secret Establishment, 1983).
À l’inverse, d’anciens membres cités par Time Magazine (avril 2004) soulignent que « l’appartenance à Skull and Bones ouvre des opportunités, mais ne garantit aucun succès », rappelant que « seuls les plus compétents accèdent aux sommets ». Certains même déclarent avoir peu utilisé leur réseau Bonesman, préférant tracer leur route seuls.
Le paradoxe est là : même sans plan caché, le simple fait que Skull and Bones existe, et qu’il regroupe autant de dirigeants, suffit à alimenter les spéculations. Le silence qu’elle entretient, en refusant toute communication publique, renforce cette perception.
V. Controverses historiques
Bien que ses activités internes soient officiellement discrètes et légales, Skull and Bones a été au cœur de plusieurs controverses publiques, la plus célèbre étant celle du crâne supposé de Geronimo. D'autres histoires évoquent des profanations de tombes ou des actes symboliques à la limite de la légalité. Ces affaires ne relèvent pas toutes du fantasme : certaines ont donné lieu à des enquêtes, témoignages, voire à des actions en justice.
V.1. Le crâne de Geronimo : rumeur, document, procès
V.1.1. La légende fondatrice
Selon une rumeur persistante relayée dès les années 1930, le crâne du chef apache Geronimo — mort en captivité à Fort Sill, Oklahoma, en 1909 — aurait été volé en 1918 par des membres de Skull and Bones. Parmi eux : Prescott Bush, père de George H. W. Bush et grand-père de George W. Bush. Le récit veut qu’un groupe d’officiers affectés à Fort Sill ait exhumé le corps de Geronimo, subtilisé son crâne, deux fémurs et quelques objets funéraires, avant de les ramener au Tomb à Yale comme trophées de "crooking" (Ron Rosenbaum, Esquire, avril 1977 ; Alexandra Robbins, 2002).
Pendant des décennies, cette histoire est restée dans la sphère du mythe interne. Mais elle refait surface avec force dans les années 1980 et surtout à partir de 2006.
V.1.2. Un document troublant : la lettre de 1918
En 2006, l’historien Marc Wortman, en consultant les archives de la bibliothèque de Yale, découvre une lettre datée du 7 juin 1918, adressée par un certain Winter Mead (Bonesman 1917) à F. Trubee Davison (Bonesman 1918). Il y est écrit :
“The skull of the worthy Geronimo the Terrible, exhumed from its tomb at Fort Sill by your club… is now safe inside the Tomb and ready for your inspection.”
La lettre mentionne explicitement l’exhumation de Geronimo et l’arrivée de son crâne à Yale. Cette correspondance est authentifiée, mais ne constitue pas une preuve formelle que le crâne en question est bien celui de Geronimo : aucune vérification physique ou ADN n’a jamais été autorisée sur les artefacts du Tomb (Marc Wortman, Yale Alumni Magazine, 2006).
V.1.3 Témoignages internes contradictoires
Dans les années 1980, Ned Anderson, président de la tribu San Carlos Apache, mène sa propre enquête. Il rencontre en 1986 un représentant de Skull and Bones, Endicott P. Davison (alors avocat de la Russell Trust). Celui-ci lui montre un crâne sous verre, censé être celui de Geronimo. Anderson, selon ses déclarations rapportées par le New York Times (17 mai 2009), affirme que le crâne semble trop petit et pourrait être celui d’un enfant. Il refuse de le récupérer sans test d’authentification.
L’ordre nie toute implication officielle. Selon Robbins, cette rencontre aurait eu pour but de clore l’affaire en secret. Elle n’a au contraire fait que relancer les soupçons.
V.1.4 Action en justice des descendants de Géronimo (2009)
En février 2009, à l’occasion du centenaire de la mort de Geronimo, 20 descendants directs, menés par Harlyn Geronimo, déposent plainte devant un tribunal fédéral contre Skull and Bones, Yale University et le gouvernement américain. L’objectif : la restitution du crâne supposé.
Leur demande s’appuie sur la loi américaine NAGPRA (Native American Graves Protection and Repatriation Act), qui protège les restes humains des peuples autochtones et en permet la restitution.
La plainte cite explicitement la lettre de 1918 comme élément de preuve. Cependant, l’affaire est classée sans suite en 2010, le juge estimant que les descendants n’avaient pas de base juridique claire et que le gouvernement ne pouvait pas être contraint à intervenir (Washington Post, 30 septembre 2010).
V.1.5 Réalité ou mythe ?
Historiens et anthropologues restent partagés. Certains, comme Tom Holm de l’Université d’Arizona, estiment qu’un tel vol était plausible dans le contexte raciste de l’époque. D’autres chercheurs locaux (notamment au Fort Sill Apache Museum) notent que rien dans les registres militaires ne confirme la disparition de la tombe ou l’exhumation.
Pour Harlyn Geronimo, qui continue à militer pour des fouilles et une analyse ADN, il ne fait aucun doute que le crâne exposé au Tomb appartient à son aïeul. Dans une déclaration publique (2009), il déclare :
“This is not folklore. This is theft. This is desecration. We want to bring Geronimo home.”
En 2021, la tribu Apache renouvelait ses demandes de restitution, sans réponse officielle. Skull and Bones n’a jamais ni confirmé ni infirmé la présence du crâne dans ses murs. Une culture du silence, perçue par beaucoup comme une insulte symbolique à la mémoire amérindienne.
V.2. Autres crânes supposés : Pancho Villa, Van Buren
Skull and Bones est également soupçonnée, sans preuve irréfutable, d’avoir volé ou acquis :
Le crâne de Pancho Villa, révolutionnaire mexicain assassiné en 1923. La rumeur affirme que des Bonesmen ont payé des voleurs pour récupérer sa tête et l’exposer au Tomb (source : Robbins).
Le crâne du président Martin Van Buren, dont la tombe aurait été vandalisée en 1878 lors de sa réinhumation à Kinderhook (NY). Aucune enquête n’a jamais prouvé cette disparition.
Ces récits sont mentionnés dans les travaux d’Alexandra Robbins, Ron Rosenbaum, et dans des archives du New England Historical Society. Ils sont toutefois moins documentés que le cas Geronimo.
V.3. Le “crooking” : vols rituels ou profanations ?
La tradition du crooking (voir section II) — consistant à subtiliser des objets symboliques pour les ramener au Tomb — est documentée depuis les années 1800. Si elle relève d’un folklore estudiantin, elle a parfois frôlé l’illégalité :
Vols de plaques historiques
Tentatives d’intrusion dans d’autres sociétés
Récupération d’ossements dans des cimetières
Dans une enquête du Yale Daily News (2001), plusieurs anciens étudiants évoquent un “esprit de défi” jugé aujourd’hui problématique. Le fait que Skull and Bones valorise l’appropriation de reliques humaines (réelles ou supposées) nourrit l’accusation de mépris élitiste envers les valeurs universelles, notamment religieuses ou culturelles.
V.4. L’affaire du crâne exposé chez Christie’s (2001)
En 2001, la maison Christie’s à New York prévoit de mettre aux enchères un crâne humain gravé du nom “THOR”, monté sur charnière pour servir de boîte de vote. L’objet est accompagné d’un carnet de photos de la promotion 1872, avec mention du chiffre 322.
Selon Washington Post (avril 2001), l’objet provient de la succession d’un Bonesman et devait être vendu comme “curiosité universitaire”. Sous la pression de l’université et d’associations, la vente est annulée.
Cette affaire confirme que Skull and Bones a effectivement utilisé des crânes humains, même si leur origine exacte reste incertaine. Elle soulève aussi la question de la gestion patrimoniale de ces objets, et du respect dû aux restes humains.
VI. Théories du complot
L’influence supposée de Skull and Bones, combinée à son extrême discrétion et au prestige de ses membres, a suscité une avalanche de théories du complot depuis le XIXᵉ siècle. Ces théories vont du plausible au farfelu, mais elles ont toutes un point commun : elles traduisent une anxiété profonde face aux élites invisibles, à la concentration du pouvoir et à l’opacité des institutions. Skull and Bones, par son nom même, son esthétique macabre et son refus de s’expliquer, est devenue un réceptacle idéal pour les récits conspirationnistes.
VI.1. Skull and Bones comme “branche américaine des Illuminati”
Cette idée, popularisée notamment par Antony C. Sutton dans America’s Secret Establishment (1983), repose sur une double coïncidence :
William H. Russell, fondateur de Skull and Bones, avait étudié en Allemagne, où il aurait été en contact avec des cercles maçonniques ou néo-illuministes.
Le chiffre 322, emblème de l’ordre, est interprété par certains comme un code numérologique hérité des Illuminés de Bavière, dissous officiellement en 1785.
Selon Sutton, Skull and Bones ne serait pas une simple société étudiante, mais la continuation clandestine d’une lignée idéologique visant à remplacer les démocraties par une gouvernance mondiale oligarchique. Ce thème est repris, souvent sans nuance, par des auteurs comme William Cooper (Behold a Pale Horse, 1991), qui rattache Skull and Bones à un “gouvernement mondial secret”, ou par des figures comme Alex Jones, qui a popularisé l’expression “Brotherhood of Death” pour désigner l’ordre.
Aucune preuve historique ne confirme un lien formel entre Skull and Bones et les Illuminati allemands. Les historiens s’accordent à dire que la référence à 322 renvoie plus vraisemblablement à la mort de Démosthène en 322 av. J.-C., symbole de la fin de la démocratie athénienne et du triomphe de l’oligarchie.
VI.2. L’accusation de vouloir instaurer un “Nouvel Ordre Mondial”
Certaines théories attribuent à Skull and Bones — en coordination avec d’autres cercles comme le Council on Foreign Relations, la Trilateral Commission ou le Bilderberg Group — la volonté d’instaurer un Nouvel Ordre Mondial (New World Order), gouverné par une caste technocratique post-nationale.
Le fait que plusieurs Bonesmen aient occupé des postes influents dans la diplomatie américaine (notamment George H. W. Bush, qui emploie l’expression “New World Order” dans un discours de 1991 à propos de l’après-guerre froide), alimente ces récits.
Mais cette expression, dans le contexte de Bush, désigne plutôt un nouvel équilibre géopolitique après la chute de l’URSS. Aucune structure mondiale centralisée dirigée par Skull and Bones n’a jamais été identifiée, ni même évoquée dans des documents internes.
VI.3. Liens supposés avec la CIA et les services secrets
Comme vu précédemment (section IV), plusieurs membres de Skull and Bones ont travaillé dans ou autour des services de renseignement américains, notamment :
James Jesus Angleton, chef du contre-espionnage à la CIA
William F. Buckley Jr., agent de la CIA en Amérique latine
George H. W. Bush, directeur de la CIA
De là, certains déduisent que Skull and Bones aurait contribué à créer, voire à diriger la CIA. Toutefois, la CIA a recruté des milliers de diplômés d’universités variées. Aucun document officiel ne prouve l’existence d’un lien structurel entre l’agence et l’ordre.
Alexandra Robbins conclut à une “sympathie de culture” entre les deux institutions : élitisme, secret, loyauté, anglophilie — mais pas de coordination directe.
VI.4. Implication dans des événements historiques majeurs ?
Plusieurs théories avancent que Skull and Bones aurait joué un rôle occulte dans :
Le krach boursier de 1929
Le Projet Manhattan (bombe atomique)
L’assassinat de John F. Kennedy
Les attentats du 11 septembre 2001
Ces accusations reposent en général sur le principe de coïncidence : présence d’anciens Bonesmen dans l’environnement des événements (conseillers, banquiers, militaires), mais jamais en position directe de commandement opérationnel.
Dans le cas du 11-Septembre, certains auteurs ont fait remarquer que George W. Bush était Bonesman, et que des décisions post-attentat (Patriot Act, guerre en Irak) auraient profité à l’establishment. Mais aucun lien structurel avec l’ordre n’a été établi. Le même raisonnement pourrait s’appliquer à des présidents non Bonesmen ayant pris des décisions similaires.
Concernant l’assassinat de JFK, des ouvrages comme ceux de Jim Marrs (Crossfire) suggèrent une implication de cercles secrets d’anciens de Yale ou de la CIA. Là encore, aucune preuve matérielle, ni témoignage crédible n’a permis d’étayer cette thèse au-delà du soupçon narratif.
VI.5. “Skull and Bones contrôle le monde” : le mythe qui dépasse la réalité
L’image de Skull and Bones comme quartier général du pouvoir occulte mondial est avant tout un mythe culturel, puissant car crédible dans un monde marqué par :
Le sentiment d’injustice sociale
L’opacité des élites économiques
L’entre-soi des puissants
Les échecs répétés de la transparence démocratique
L’ordre fonctionne comme une métaphore politique : un club fermé, où les décisions importantes se prennent loin du peuple. Ce symbole suffit à alimenter l’imaginaire conspirationniste, même sans faits avérés.
Ron Rosenbaum, après des années d’enquête, conclut dans Esquire (1977) :
“Le véritable pouvoir de Skull and Bones n’est pas d’agir dans l’ombre, mais d’exister dans la lumière sans jamais répondre. C’est l’arrogance du silence.”
VI.6. Les limites du complot : ce que disent les preuves
Des journalistes, historiens et sociologues (Alexandra Robbins, Ron Rosenbaum, Seth Rosenfeld) ont tenté de vérifier ces théories. Leurs conclusions sont convergentes :
Skull and Bones ne pilote pas de réseau mondial
Il n’y a aucun document interne prouvant un agenda politique ou financier
Les membres, bien que très influents, n’agissent pas en bloc ni avec un plan commun
Robbins note que la diversité des opinions politiques au sein de l’ordre (républicains, démocrates, libertariens) rend très improbable un agenda collectif cohérent.
Conclusion
Skull and Bones est à la fois réalité historique, phénomène social, et mythe vivant. Ce que l’on sait avec certitude, c’est qu’il s’agit d’une société secrète fondée à Yale en 1832, structurée autour de rituels d’initiation, d’un bâtiment privé (The Tomb), et d’un réseau d’anciens puissants occupant des postes influents dans la politique, la finance, la diplomatie, le droit et les médias américains.
Ses membres incluent plusieurs présidents des États-Unis, dont William Howard Taft, George H. W. Bush et George W. Bush, ainsi que des sénateurs, juges, patrons de banques et fondateurs de groupes médiatiques majeurs. L’ordre fonctionne selon des codes anciens, symboles funéraires, pseudonymes internes, et perpétue chaque année une nouvelle promotion de quinze membres, choisis parmi les meilleurs étudiants de Yale.
Il est également avéré que Skull and Bones a cultivé une culture du secret strict, du rituel théâtral, et parfois du geste provocateur (crooking), comme en témoigne l’affaire, non élucidée, du crâne supposé de Geronimo. Ce culte de la confidentialité, doublé d’une tradition d’élitisme anglo-saxon, alimente depuis longtemps les soupçons, critiques et fantasmes.
De nombreuses théories du complot se sont greffées sur ce silence : certaines relativement plausibles (réseaux d’influence, favoritisme entre anciens), d’autres beaucoup plus extrêmes (domination mondiale, lien avec les Illuminati, implication dans des événements historiques majeurs). Aucune preuve crédible n’atteste l’existence d’un programme politique unifié ou d’une action concertée au-delà du mentorat et de la cooptation sociale.
Dans la culture populaire, Skull and Bones est devenue un symbole puissant, utilisé dans les films, romans, séries et discours critiques comme archétype du pouvoir invisible : une élite qui décide hors du regard du public. Cette image, souvent exagérée, n’est pas sans fondement — mais elle dépasse largement la réalité documentée.
Ce que révèle Skull and Bones, en fin de compte, c’est la tension entre démocratie et privilège, entre mérite individuel et cooptation silencieuse. Ce n’est peut-être pas une conspiration au sens strict — mais c’est un système de reproduction sociale extrêmement efficace, dont la pérennité interroge.
Dans un monde où l’opacité des élites est de moins en moins tolérée, Skull and Bones continue d’incarner le mystère d’un pouvoir clos sur lui-même. Et tant que son fonctionnement restera inaccessible, les légendes — raisonnables ou extravagantes — continueront de fleurir. Non parce que tout serait vrai, mais parce que le silence, lui, parle fort.
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